Chapitre 70

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"Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité" avait dit Neil Armstrong. Rien de comparable avec notre situation. Quoi que. Lorsque je sortis de ma chambre ce matin-là, je ne croisai aucune des conquêtes de Charles dans l'entrée ou les escaliers. Une grande nouveauté qui me donna plus de courage encore. Ce matin, j'avais décidé de briser la glace, de faire à mon tour un pas vers la réconciliation, sans reproches, sans crise de nerfs, juste lui, moi et une conversation banale.

Si ce simple petit mot glissé sous ma porte me faisait tant plaisir, c'était parce que c'était la preuve que Charles faisait encore attention à moi. En effet, s'il était au courant que j'avais obtenu mon année, c'est qu'il s'était renseigné soit auprès de mon université, soit auprès de Gab. Dans tous les cas, je comptais encore pour lui.

Je pénétrais dans la cuisine, où il dégustait pour son petit-déjeuner une salade de fruit fraîche avec un bol de muesli, un verre de jus d'orange fraîchement pressé posé devant lui. À mon arrivée, grande première depuis deux semaines, il releva la tête pour me toiser rapidement. Je lui souris timidement et il retourna à la contemplation de son petit-déjeuner. Tout cela n'était plus très naturel entre lui et moi, j'avais l'impression de me retrouver devant lui pour la première fois.

Je pris place en face de lui et me servis un bol de céréales à mon tour. Je posai mon téléphone portable sur le plan de travail et attendis que mon plan ne se mette en place de lui-même. Quelques secondes plus tard, dans un silence toujours assourdissant, mon téléphone se mit à vibrer pour m'annoncer que je venais de recevoir un message. Un peu plus tôt, j'en avais envoyé un à ma mère dans l'espoir qu'elle me réponde. Cela attira tout de suite l'attention de Charles, qui, bien qu'il soit devenu muet et fasse mine d'être totalement indifférent à mon sort, ne put s'empêcher de jeter un œil intéressé dans ma direction.

Je saisis mon téléphone et pianotai dessus avec enthousiasme. Peut-être y avais-je mis trop d'entrain car Charles prit mon geste pour de la provocation. Il se leva brusquement de sa chaise pour mettre son petit-déjeuner dans l'évier de la cuisine, mécontent. Je le trouvais un peu gonflé de se montrer agacé, lui qui me faisait passer sous le nez tous les jours une nouvelle pétasse de sa palette. Je pris sur moi de ne pas lui faire remarquer et accélérai un peu ma mise en scène.

- Ma mère descend en ville aujourd'hui. Ça serait sympa si on allait boire un verre tous les trois, proposai-je subitement.

Ma voix me parut fausse, ma proposition inappropriée et mon ton trop nonchalant. Je ne savais plus vraiment comme m'y prendre avec lui. Ce qui avait paru si naturel devenait bien poussif. Il ne se retourna pas tout de suite. Dos à moi, il posa ses mains de chaque côté de l'évier pour s'y appuyer et, comme une douce drogue, j'entendis pour la première fois depuis des semaines le son de sa voix. J'avais presque oublié le pouvoir d'attraction qu'elle pouvait avoir. Ce fut presque comme au premier jour. Mon corps se couvrit de frissons et je bus avec ivresse chaque son qui s'échappait de sa bouche.

- Tu veux me présenter ta mère ? s'étonna-t-il la voix encore grave de celui qui ne se laissera pas amadouer si facilement.

Il fit mine d'entreprendre de faire la vaisselle alors que je savais très bien qu'il ne la faisait jamais. Tout ça c'était uniquement pour ne pas avoir à croiser mon regard. Soit, allons-y petit à petit s'il le faut.

- Et bien... j'avais accepté la première fois, mais ce n'était pas vraiment le bon moment.

- Et là tu trouves que c'est le bon moment ? grinça-t-il en se retournant.

Je vis dans ma tête l'avion qui symbolisait ma brillante idée se crasher au sol comme s'il était dépourvu d'ailes. Il plongea son regard en moi et je le soutins du mieux que je pus. Si je voulais que ça s'arrange entre nous, ça semblait ne tenir qu'à moi.

- Oui, pourquoi pas, confirmai-je. Sauf si tu as du travail !

Il réfléchit un instant, déconcerté par mon aplomb et, finalement, il lâcha prise à son tour.

- Très bien, si c'est ce que tu veux.

Si c'est ce que je veux ? Jamais Charles ne m'avait laissé le choix de quoi que ce soit. Il avait toujours pris les commandes pour nous deux, incapable de laisser les rennes de sa vie à quelqu'un d'autre que lui. C'était une grande première. Je ne soulignai pas cet exploit et fis comme si de rien n'était.

- Parfait, je la préviens alors. Disons vers onze heures ? Ensuite on pourra peut-être sortir déjeuner toi et moi !

- Je vais aller annuler ma réunion dans ce cas.

Il sortit de la pièce comme s'il ne s'était jamais rien passé, me laissant littéralement sur le cul. Il allait annuler une réunion de travail pour venir boire un verre impromptu en terrasse avec ma mère et moi... Si Charles était capable de tels efforts, alors je devais être capable de faire de même.

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