Chapitre 38

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Quand je passai le pas de chez moi il n'était pas si tard que ça si bien que j'eus le temps de faire plein de choses. Je pus enfin faire le ménage dans mon appartement et profiter de Squeezy. Absolument aucun grain de poussière ne m'échappa. Je passai l'aspirateur, la serpillière, rangeai tout ce que j'avais pu laisser traîner en espérant qu'un jour mes affaires se rangeraient toutes seules ou bien que mon elfe de maison imaginaire se remuerait un peu les fesses pour faire son boulot. C'est à se demander pourquoi je le paye...

Après avoir tout astiqué de fond en comble, je pris le temps de faire plaisir à mon petit minou d'amour. Au lieu de lui ouvrir une boîte de pâté pour chat, je lui cuisinai avec amour le meilleur repas qu'un chat puisse rêver d'avoir. Je sortis de mon minuscule congélateur un morceau de blanc de dinde, quelques petits pois et du riz. Je fis cuire mon riz et mis le reste dans le cuit-vapeur pour préserver tous les goûts. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, Squeezy n'était pas du genre à se ruer sur le poisson mais plutôt à se lécher les babines devant une belle tranche de jambon.

Malheureusement pour lui, je n'étais pas une grande carnivore, loin de là. Je préférais la cuisine saine avec du poisson ou des protéines d'origines végétales. Mon corps avait été bien assez souillé comme ça, inutile d'aggraver mon cas. Ça avait été ma philosophie depuis le jour où je pus enfin me préparer mes repas, seule. Depuis l'événement tragique qui avait bouleversé ma vie, j'avais espéré retrouver un semblant de paix intérieur en prenant soin de ce que je mangeai, mais c'était peine perdue et sans compter sur mon profond mal être. Malgré ça, je n'avais jamais perdu cette habitude et j'en faisais parfois profiter mon fidèle compagnon à quatre pattes et trop mignon.

Il mangea goulûment, emplissant l'appartement de ses ronronnements apaisants, me donnant la sensation depuis bien longtemps qu'à partir de maintenant, tout irait mieux. Cette étrange boule que je gardais et ressentais en permanence entre ma cage thoracique et mon abdomen se dissipait peu à peu. Quelque chose avait changé en moi. Je m'imaginai un avenir, peut-être même dans les bras de Charles, où je n'aurais plus à souffrir de mon passé, où je pourrais être honnête avec les gens qui m'entourent, où j'accepterai ce qui m'était arrivé, que je ferai le deuil de cette période de ma vie et me tournerai vers l'avenir sans nostalgie ni addiction à la souffrance.

Après toutes ses années, devais-je encore me conforter dans l'idée que j'avais le droit de me plaindre parce que j'avais été abusé ? Sans doute que oui, j'avais le droit de me plaindre jusqu'à la fin de ma vie parce qu'on avait abusé de moi, mais était-ce le meilleur moyen de retrouver un semblant de vie normale ? Vivre cette histoire avec Charles remettait en cause beaucoup de choses dans ma vie, des choses que j'avais estimé faire partie de moi pour l'éternité, comme cette prudence extrême envers les hommes, le fait de ne faire confiance à personne ou de me sentir sale pour toujours. Cette étrange sensation que quelque chose n'allait pas en moi, que tout le monde pouvait lire le mot " honte" gravé sur mon front, s'estompait peu à peu.

Au fond, depuis toutes ces années, peut-être que ça n'avait pas été d'une psychologue dont j'avais besoin. Peut-être que je n'avais pas eu besoin d'une oreille, d'une personne qui me donnait sans cesse l'impression de n'être qu'une victime, mais bien de quelqu'un qui m'aimait sans me donner cette impression de honte que je ressentais chaque fois que je lisais dans le regard de ma psy "pauvre petite". J'avais besoin que l'on me regarde normalement, sans jugement, sans compassion... Faire comme si rien de tout cela n'avait existé.

J'avais déjà bien occupé mon après-midi lorsque je décidai d'appeler Gab pour faire une virée entre fille dans un bar du coin. Je retournai mes poches dans tous les sens, vidai mon sac sur le plancher, mais rien n'y fit, je ne réussis pas à mettre la main sur mon téléphone portable. Je tentais de me rappeler où je l'avais vu pour la dernière fois et me revis très clairement le poser dans l'herbe à côté de mon assiette de gâteau.

Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now