Chapitre 60

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Nous étions allés dans le bar où nous avions l'habitude de nous retrouver Gabrielle et moi. Tout se passait comme les nombreuses fois où nous y avions mis les pieds à une différence près. Cette fois, Gab était accompagnée du même homme qu'elle m'avait présenté quelques jours plus tôt. Je commençais à croire qu'elle avait enfin trouvé chaussure à son pied. J'étais ravie pour elle, il était réellement temps qu'elle calme sa frénésie de sexe pour goûter au bonheur de l'amour réciproque. Et dire que c'était moi qui disais ça. Benjamin était formidable avec elle, il la canalisait sans pour autant l'étouffer.

Avec lui, elle ne jouait pas un jeu, elle était elle-même, sans compromis, et il se régalait, assis sur son tabouret au bar, du roulement de hanche de Gab sur la piste de danse. Mon amie et moi étions déjà bien amochées, des parapluies à cocktails pleins les cheveux quand mon portable se mit à sonner dans ma poche arrière. À peine eus-je quitté la piste de danse que Benjamin se précipita à ma place pour rejoindre Gab. Elle se pendit à son cou et ils échangèrent une longue liste de baisers sulfureux et passionnels.

Je m'éloignai du bruit et de la foule et jetai un œil plus très clair sur l'écran de mon portable. Étrangement, mes idées s'éclaircirent d'un coup. À mon humble avis, un appel aussi tardif, car il était presque minuit quand même, ne me disait rien de bon. Paul devait sans doute avoir craché le morceau. Je sortis du bar pour éviter le brouhaha ambiant et pris mon courage à deux mains pour décrocher.

- Allô ?

- Ah tu es encore debout ! souffla-t-il soulagé.

- Ça ne va pas ? m'inquiétai-je en oubliant complètement que j'étais censée être fâchée contre lui.

- Si, mais la journée a été longue et difficile. J'avais besoin d'entendre ta voix avant d'aller me coucher.

- Qu'est-ce que tu es allé faire au juste ? lui demandai-je soudainement intéressée par les raisons de son voyage.

- C'est bien trop ennuyeux pour valoir la peine d'être raconté.

- Ah et il y a des filles pendant ce truc ennuyant ?

Il se mit à rire doucement, comme à chaque fois qu'il me trouvait ridicule.

- Comme partout oui ! Si tu t'inquiètes de savoir s'il y a des femmes autour de moi tu ne dois pas beaucoup dormir la nuit. Ne pense pas à ça.

- Oui, oui, je sais ! On a un accord, conclus-je en me refermant comme une huître.

Je n'aimais pas spécialement aborder le sujet avec lui. Il avait mon entière autorisation, mais j'espérais qu'il soit assez amoureux de moi un jour pour l'oublier.

- Et toi ? Toujours pas couché ? Où es-tu ?

Pendant un instant, je ne sus pas quoi faire. J'étais tellement coutumière des plans sans queue ni tête de Charles que j'avais peur qu'il prêche le faux pour connaître le vrai. Je m'inquiétais qu'il teste mon honnêteté et me prenne pour une sale petite menteuse si c'était le cas. S'il était au courant que j'étais retournée chez moi, il ne tarderait pas à exploser.

- Au fond du lit, mentis-je en prenant le risque. Je regardais un film, mais je me suis endormie devant.

- Je t'ai réveillé !

- Ce n'est pas grave, répondis-je simplement.

- Tout va bien ?

- Oui, oui ! Je suis fatiguée c'est tout.

Et je n'avais aucun mal à donner cette impression avec toutes les Margaritas que j'avais bues.

- Alors je ne t'embête pas plus longtemps ! Bonne nuit...

- Bonne nuit, répondis-je simplement.

- Oh attends, me héla-t-il quand je fus sur le point de raccrocher.

- Oui ?

Cette fois, c'est bon, ça allait être le coup de grâce.

- Tu as rendez-vous demain matin chez mon médecin pour ta cheville.

- Ah bon ? Pourquoi ?

S'il croyait pouvoir me faire croire encore longtemps que j'avais une entorse pour pouvoir me retenir chez lui contre ma volonté il se fourvoyait totalement.

- J'ai remarqué que tu ne te servais plus de tes béquilles. J'aimerais qu'il me confirme que tout est en ordre et que ce n'est finalement pas une entorse.

- Mais je croyais qu'il avait dit que s'en était une !

- Ah dire vrai, il a dit que c'était peut-être une entorse et vus comme tu avais mal, c'est moi qui en ai conclu ça. Pourquoi ? Tu préférerais ? s'étonna Charles.

- Non !

Alors là, je me sentais la reine des connes, passer moi l'expression. Comment avais-je pu m'imaginer que Charles était capable d'un stratagème aussi tordu ? À vrai dire, il en était certainement capable, mais je l'avais surestimé sur ce coup-là. Peut-être n'était-il pas aussi manipulateur que je le pensais.

- OK, je vais aller dormir ! Amuse-toi bien, Paul passera te chercher chez toi demain ! me prévint-il avant de raccrocher.

Chez moi ? Alors Paul lui avait finalement dit que j'étais partie, pourtant Charles ne m'avait fait aucune scène et c'est bien ce qui me dérangeait. Je m'étais attendue à une crise de nerfs façon Charles Potens, à la place de quoi, il avait testé ma franchise, test auquel j'avais échoué. J'avais encore dans la tête le ton avec lequel il avait prononcé cette dernière phrase. Il n'était pas en colère, juste déçu...

J'avais terriblement honte de moi pour plusieurs raisons. D'abord parce que je l'avais cru capable de m'inventer une blessure imaginaire pour m'obliger à enfin venir habiter chez lui. Et puis, parce que je n'avais pas eu le courage de lui avouer que j'étais tout simplement retournée à mon appartement le temps que durerait son voyage, à la place de quoi, je lui avais menti. Maintenant, il devait s'imaginer tout et n'importe quoi pour justifier mon mensonge.

Pourquoi chaque fois que l'un de nous deux faisait un pas vers l'autre, l'autre faisait un pas en arrière. Étions-nous tous les deux aussi brisés par la vie ?

Je retournais à l'intérieur du bar, toute envie de faire la fête m'ayant définitivement quitté pour la soirée. Gabrielle et Benjamin me raccompagnèrent jusque devant mon immeuble et repartir bras dessus bras dessous en gloussant de bonheur.

En rentrant chez moi, je pris une douche avant d'aller me coucher et ne pus m'empêcher de reprendre la longue liste de petits rituels auxquelles je ne dérogeais jamais avant de rencontrer Charles. Je pris une douche bien chaude, frottai assidûment ma peau pour y faire disparaître une crasse invisible, badigeonnais avec minutie chaque centimètre de mon corps de crème, tout ça, sans un regard pour le miroir, recommençant à imaginer ce corps comme étant totalement dissocié de l'être que j'étais.

Sans Charles, sans son attention, sans le sentiment que je représentais quelque chose à ses yeux, je retombais dans cette illusion persistante et douloureuse que jamais je ne me reconstruirais, que mon corps ne m'appartenait pas et ne m'appartiendrait plus jamais. Les caresses de Charles, ses yeux qui se posaient sur moi, sa possessivité maladive, me faisaient me sentir plus vivante que jamais. Sans lui, je n'étais peut-être pas grand-chose ou, tout du moins, rien d'autre que l'ancienne Margaret.

Je vins me glisser dans mes draps, persuadée que je ne trouverais pas le sommeil avant d'avoir réparé mon erreur. Je tentais de l'appeler plusieurs fois sans résultat alors je lui laissais un message. Je dus faire plusieurs essais avant de trouver une formulation qui puisse convenir. Je ne voulais tout de même pas lui donner l'impression que la faute que j'avais commise était si grave que ça. Il ne s'agissait après tout que d'un petit mensonge de rien du tout.

Quand je fus satisfaite, je lui envoyai et tombais dans les bras de Morphée plus vite que je ne l'aurais cru.

De Margaret :

Je ne t'ai pas dit que j'étais chez moi parce que je ne voulais pas te faire de la peine et que tu puisses penser que je t'abandonne. Ce n'est pas le cas. Je t'aime !

Cœur ArtificielΌπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα