Chapitre 55

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Le temps qui devait encore s'écouler avant que Charles ne rentre me démoralisa. Il me manquait beaucoup plus que je ne voulais l'admettre et l'imaginer en pleine chevauchée avec une femme me causa la nausée. Afin de m'occuper intelligemment tout en faisant plaisir à Charles, j'avais entrepris d'aider Paul en cuisine pour le dîner de ce soir.

Paul découpait les légumes tandis que je frottais les tendres filets de poulet avec des épices pour ensuite les plonger dans une marinade à base de lait de coco. Il avait accepté avec joie ma proposition de lui tenir compagnie et me montrait avec enthousiasme de quelle manière il prenait plaisir à préparer chaque jour de bons petits plats pour son patron. Un tel degré d'implication commençait à me faire dire qu'il devait être pour Charles bien plus qu'un employé. Il aurait beau le nier, Paul était une présence indispensable dans sa vie, peut-être même un ami.

Paul n'était pas un grand bavard. Son patron l'avait très bien conditionnée, il n'y avait pas à dire. Il ne parlait jamais sans y être invité ou si ce qu'il avait à dire n'avait pas un quelconque intérêt. Le point négatif, et il y en avait sans doute plus d'un, était que tout ce silence me laissait l'opportunité de ruminer ce que m'avait dit Mona dans ma chambre. Je décidais de prendre mon acolyte à partie et le son de ma voix me parut soudain comme une agression.

- Est-ce que vous saviez que Charles avait une petite sœur ? lâchai-je.

Les mouvements réguliers du couteau de Paul se firent plus lents pendant un moment, signe que ma question le perturbait plus qu'il ne voulait le montrer. Il reprit rapidement une contenance et sa cadence infernale de tranchage de ses fenouils.

- Je n'aborderai pas ce sujet avec vous Mademoiselle Maggie ! se contenta-t-il de décliner poliment la conversation.

- Où est le problème ? Je suis ravie d'apprendre qu'il a une sœur. Surprise, c'est vrai, mais ravie.

- ... Je vois !

Paul stoppa soudainement toute activité, le regard grave de celui qui détient une information capitale, mais qui est dans l'impossibilité d'en dire plus. Il me fit face et chercha ses mots un instant.

- Vous avez l'intention de lui en parler ?

Ne voyant pas vraiment où était le mal, je lui répondis le plus franchement du monde.

- Bien sûr !

Pourquoi ne pourrais-je pas lui parler de sa sœur ? Quel affreux secret de famille Charles gardait-il pour lui ? Tous ces non-dits et ses comportements étranges me rendirent de plus en plus curieuse. Après tout, je n'avais peut-être pas tort d'insister autant.

- Écoutez, je ne sais pas exactement comment vous avez eu connaissance de l'existence de Chloé, mais faites bien attention à ce que vous allez dire à Monsieur !

Était-ce une menace ou un conseil ?

- D'où vient le problème ?

- Je serais vous, je ne me mettrais pas dans une situation aussi périlleuse. Tâchez de vous souvenir que je vous aurai prévenu.

Voilà qui était dit. Paul retourna à ses découpes et nous ne nous adressions plus la parole durant tout le temps que durèrent les préparations.

Vers vingt heures trente, fatiguée d'attendre que le maître de la maison donne signe de vie, je m'affalai dans le canapé du salon avec mon téléphone portable. Squeezy me sauta sur le ventre et s'y installa confortablement en ronronnant.

J'avais reçu un peu plus tôt dans la journée, un message de Gontran, mon binôme pour mon exposé de fin d'année, et lui répondis enfin.

De Gontran :

Peut-on se voir demain ?

De Margaret :

Déjà ?

De Gontran :

J'ai hâte de t'exposer mes idées !

De Margaret :

Je vois ça !

De Gontran :

Disons demain chez toi ?

Là il me posait une colle. Si Charles décidait une fois de plus de partir en escapade crapuleuse avec je ne sais quelle bimbo ça ne poserait aucun souci. En revanche, s'il décidait de ne pas me lâcher de la soirée, ce serait mission impossible. Tout dépendrait de l'attitude mon homme et comme ses réactions pouvaient être imprévisibles, je ne pouvais dès maintenant donner de réponse claire à Gontran.

De Margaret :

Je te redis ça demain !

À peine avais-je envoyé mon dernier message, que Charles passa le pas de la porte, enfin. Je me précipitai pour me redresser, envoyant Squeezy valser par la même occasion. Ma petite boule de poils en profita pour se ruer sur lui et se frotter dans ses jambes. Charles ôta sa veste et la lança machinalement sur le dossier du sofa dans lequel j'étais encore assise. Ce geste lui fit enfin remarquer ma présence et quand ses yeux se posèrent sur moi, je lui souris tendrement. Il s'immobilisa, mal à l'aise, et soutint mon regard.

- Quoi ? railla-t-il comme s'il prévoyait déjà que j'ai quelque chose à lui reprocher.

- Rien ! répondis-je en secouant la tête. Tu m'as manqué.

Il fronça les sourcils, perturbé et fuit mon regard.

- Je vais prendre une douche !

Charles s'évapora à l'étage en un claquement de doigts. Je savais très bien d'où il venait, ou tout du moins ce qu'il avait fait. Même si avec du recul, je regrettais d'avoir pris cette décision, je m'y tenais et m'étais promis de ne pas lui faire le moindre reproche à ce sujet. Néanmoins, sa réaction de ce soir me laissait voir une toute nouvelle facette de mon homme. Il était rentré gêné, prêt à se justifier, à entendre et encaisser la foule de reproches qui auraient pu s'échapper de ma bouche comme une multitude de fléchettes empoisonnées. Le fait que ce ne fut pas le cas sembla le perturber au plus haut point.

J'émis deux hypothèses quant à ce comportement plus qu'étrange et les deux me plaisaient autant l'une que l'autre. Premièrement, Il se sentait coupable de coucher avec d'autres filles alors que je l'attendais paisiblement à la maison. Deuxièmement, il était extrêmement déçu que je ne sois pas jalouse et que je ne lui fasse pas la petite scène dont il avait rêvé. Dans les deux cas, il était perturbé par mon accueil si calme et ma joie toute simple de le revoir. Je ne vais pas mentir, sa réaction me fit plaisir. J'allais peut-être pouvoir obtenir du bon de ce stupide accord.

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