Chapitre 17

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Nous franchissions la porte du Hall d'entrée, seulement illuminé par les veilleuses des sorties de secours. À cette heure tardive, en plein milieu du week-end, personne n'était assez fou pour venir sur son lieu de travail... Personne sauf Charles Potens. Il semblait être ici comme chez lui. Il avança d'un bon pas droit devant lui, sa silhouette se fondant à merveille avec l'ambiance mystérieuse qui se dégageait des couloirs vides.

Tandis que nous passions portes battantes et escaliers sinistres, je commençais à prendre conscience de ce que j'étais en train de faire. J'avais toujours mis un point d'honneur à ne pas me retrouver dans ce genre de situation, seule avec un homme, sans personne autour pour me secourir en cas de dérapage... Je me jetai à corps perdu dans mon pire cauchemar.

Tout à coup, mes jambes ne furent plus assez fortes pour supporter mon corps et gravir une marche de plus de ces fichus escaliers. Je fus prise de vertige faisant tanguer les murs ainsi que la rambarde à laquelle je venais de m'agripper frénétiquement. L'air entrant dans mes poumons commença à me faire mal à mesure que ma gorge se serrait sous l'effet de la panique. Le moment était très mal choisi pour faire une crise d'angoisse, mais je ne pus contrôler mes peurs plus longtemps.

J'avais conscience d'être affreusement vulnérable et par ma faute en plus. Je me félicitais d'être la cause de mon mal-être et d'avoir provoqué une telle situation. Dans mon esprit, la possibilité qu'il m'arrive quelque chose était beaucoup trop élevée, presque inévitable. Je ne pouvais m'empêcher de croire le contraire. J'étais obnubilée par ça, tétanisée par l'éventualité que Charles Potens profite de ma naïveté comme ce fut le cas des années plus tôt avec un autre homme.

Je ne vis pas Charles arrêter son ascension des marches pour me venir en aide, mais je sentis ses mains passer brutalement sous mes bras au moment où la terre se mit à tourner bien trop vite pour que je garde mon équilibre. Il me saisit de justesse donc et m'aida à m'asseoir. Je respirai bruyamment et laissai mon corps peser contre la rambarde.

- Oula ! s'inquiéta Charles. Margaret, est-ce que tout va bien ? 

Je ne réussis pas à articuler le moindre mot. J'étais bien trop occupée à essayer de gérer ma respiration pour tenter de me calmer et m'oxygéner assez pour ne pas perdre connaissance. Que voilà une bien belle entrée en matière, pensai-je. Mon subconscient était tellement terrorisé qu'il aurait presque préféré me laisser tomber dans l'inconscience plutôt que d'avoir à gérer une situation qui le dépassait.

Je me battais comme je pouvais pour reprendre petit à petit mes esprits et tenter d'articuler quelques mots pour rassurer Charles. Je ne sais pas combien de temps je mis pour que mon état revienne à la normale, mais il resta près de moi tout le temps que cela dura. Lorsque le monde cessa de tournoyer autour de moi, je pus enfin le rassurer.

- C'est en train de passer, soufflai-je à bout de forces, éreintée de l'effort qui m'avait été demandé pour surpasser mes angoisses.

- Tu m'as fait peur ! C'était une crise d'angoisse pas vrai ? s'enquit-il très attentif à mon état.

- Ce n'était pas grand-chose ! 

- De quoi as-tu eu peur ? 

Il n'attendit pas vraiment ma réponse. De toute manière, je ne sais pas si j'aurais pu clairement lui en donner. Peut-être par peur justement ou bien par gène. Quoi qu'il en soit, je restai muette. Il se déplaça et vint s'accroupir devant moi, une marche plus basse, pour me faire face. Je relevai la tête et il plongea son regard perçant dans le mien. J'y lus un nombre incalculable de choses. De l'inquiétude, de la tendresse, mais aussi une pointe d'interrogation et peut-être même de curiosité. Il posa une main sur mon genou en signe de soutien, mais de façon incontrôlable et trop instinctive pour être empêché, la mienne vint l'y déloger.

Je m'en voulus au moment même ou je fis ce geste, mais fus soulagée que le contact physique soit rompu. Ah, je devenais dingue... Je voulais me rapprocher de lui, mais n'acceptais pas sa proximité si familière.

Il serra la mâchoire comme pour retenir au fond de lui une réaction qu'il n'aurait pas aimé que je voie. Il mit de la distance entre nous tout en restant à sa place. Il devint plutôt froid sans pour autant perdre son côté protecteur. Sa tentative d'approche étant tombée à l'eau, il se contenta de rester poli.

- Tu as peur de moi ? me demanda-t-il incertain.

- Non, non. Ne t'inquiète pas pour moi, ça va aller.

Il reprit sa place à mes côtés, totalement abattu. Il posa ses coudes sur ses genoux, les mains liées et fit le dos rond.

- Je n'ai pas l'intention de te faire du mal, souffla-t-il. Si ma compagnie te gêne, tu n'es pas obligé d'accepter ce rendez-vous. Mon chauffeur peut te ramener chez toi si tu veux.

- Ne dis pas de bêtise, le grondai-je. Pourquoi aurais-je peur de toi ?

- Je peux parfois être impressionnant et légèrement entreprenant.

- Légèrement ? pouffai-je de rire. Ne dis pas de bêtises ! Ton baratin marche sûrement avec les autres filles, mais pas avec moi. C'est juste un peu de fatigue... Je n'ai pas beaucoup dormi la nuit dernière.

- Ah cause de ta petite soirée au bar ? 

- Oui c'est ça !

- Promets-moi de ne jamais te faire boire alors ! 

- Promis, m'empressai-je de répondre car pas tout à fait contre cette idée.

L'alcool ne m'attirait toujours que des problèmes et des maux de crâne que j'aurai facilement pu éviter si je m'étais contentée d'un Virgin Mojito. Aller savoir pourquoi, mais quand vous commandez un cocktail sans alcool vous avez toujours l'impression d'insulter le barman.

Charles sourit, soulagé par mon mensonge. Il se redressa d'un bond et se posta de nouveau devant moi, les deux mains tendues dans ma direction, m'invitant à les saisir.

- Tu penses que tu peux te lever ? 

- Je crois que oui !

Il me hissa avec une aisance des plus virile et attendit quelques secondes de voir si mon équilibre était aussi sûr que je le disais. Après avoir repoussé sa main tout à l'heure, voilà que je faisais maintenant exprès de chercher un point d'appui stable pour qu'il ne me lâche pas tout de suite. Le contact de ses paumes dans les miennes me plaisait énormément. J'avais le sentiment d'être d'une importance capitale pour lui. Tout dans sa manière d'agir me le prouvait. Il y avait en lui de la gentillesse et une attention toute particulière. Il prenait soin de moi avec tellement de bienveillance.

J'avais envie de croire qu'il était différent avec moi, qu'il m'appréciait vraiment. Et je mettais un point d'honneur à m'en convaincre, mais, en réalité, je savais qu'il ne s'agissait que d'une ruse. Cet homme-là avait pour habitude d'obtenir tout ce qu'il voulait, que toutes les femmes lui tombent dans les bras sans rien faire. Son petit scénario devait être bien rodé. Avec moi, il allait avoir du fil à retordre. J'avais beau me persuader qu'il n'était certainement pas comme ça avec les autres, que ce genre de petites attentions n'étaient destinées qu'à moi, mais la réalité était sans doute tout autre. Pourtant, je voulais y croire.

Lorsqu'il me lâcha les mains, je fus terriblement déçue et, en même temps, soulagée. J'aurais aimé que notre contact dure beaucoup plus longtemps, mais d'un autre côté, je savais bien ce que ce genre de geste prolongé pouvait provoquer. La pire des choses aurait été qu'il m'embrasse par surprise, que je lui envoie de mauvais signaux et que je sois obligée de le repousser.

La différence entre nos mains liées et le moment où il posa sa main sur mon genou avait son importance. Dans le deuxième cas, c'est moi qui avais décidé de ce contact, c'est moi qui avais eu le choix de lui saisir les mains ou non. En revanche, dans le premier cas, ce contact m'avait été volé, il avait posé ses mains sur moi sans mon autorisation, sans que j'y sois préparée et ça, c'était inenvisageable. Plus personne ne me volerait mon libre arbitre et mon corps.


Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now