Chapitre 44

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Ce qui roula sur mes joues, durant le trajet, je n'aurais pu dire s'il s'agissait de la pluie ou bien de mes larmes. Combien de fois m'étais-je retrouvée dans cette situation ? À être dévastée au point de ne plus savoir si je pleurais ou non. On dit parfois que quand la tristesse devient trop grande, trop insurmontable, il devient impossible de pleurer, de parvenir à exprimer sa peine. J'avais l'impression de me situer à ce stade-là. Perdue entre le renoncement et l'acharnement. Incapable d'admettre la situation et la douleur qui en découlait. Aucune émotion n'était présentement assez forte. Je me sentais vide, en attente de sentiments qui, soit empliront mon cœur de joie, soit ravageront mon corps de peine.

Peut-être n'étais-je pas prête pour vivre une histoire d'amour avec Charles Potens, mais qui avait le loisir de choisir de qui il tombait amoureux ? Dehors, un véritable déluge s'abattait sur la route, m'obligeant à rouler plus lentement que prévu et que je ne l'aurai voulu.

Je me félicitais de m'être toujours suffisamment concentrée sur la route, les fois où Paul m'avait conduit chez Charles, pour me souvenir du chemin à prendre. Je fus fière de ne pas me perdre et de trouver la bonne piste qui menait jusqu'à la forêt entourant son manoir. À ma grande surprise je ne réussis pas à atteindre la maison avec ma voiture car l'immense portail, entrée et seul point d'accès à la propriété, était fermé. Je ne réfléchis pas plus longtemps, abandonnais ma voiture au pied des grilles et me jetai sous les trombes d'eau qui tombaient au sol. Le temps de me rendre de ma voiture au portail et je n'étais déjà plus qu'une serpillière.

Devant mon obstacle, je ne vis aucune caméra à laquelle j'aurai pu faire de grands signes alors, je tentais de l'ouvrir manuellement, mais sans succès. Il ne bougea pas d'un pouce. Je n'eus plus qu'une seule option. J'abandonnai mon véhicule et commençai à escalader le portail. Heureusement pour moi, les nombreuses volutes en fer forgé me facilitèrent la tâche à l'instar de la pluie qui rendait mon ascension périlleuse. Néanmoins, je fus rapidement de l'autre côté et en un seul morceau.

Après avoir pénétré sur la propriété privée de Charles, je courus aussi vite que possible pour rejoindre le manoir et me mettre à l'abri. Lorsque la demeure de Charles fut à portée de vue, je me mis à courir plus vite encore, pressée de revoir son regard se poser sur moi, l'entendre dire qu'il ne pensait pas un mot de ce qu'il avait dit, qu'il regrettait tout et qu'il m'aimait... J'imaginai nos retrouvailles comme dans les films où les amoureux s'embrassent sous la pluie, la passion plus forte qu'un futur, et probable, rhume.

Je donnai tout ce que j'avais, sprintant aussi vite que mes jambes me le permirent, à deux doigts de faire exploser mes poumons. Je franchis les marches du porche d'un bond et m'écrasai contre la porte sur laquelle je tambourinai à la seconde où je fus à son contact. Je n'arrêtai pas de frapper jusqu'à ce que l'on vienne m'ouvrir.

À peine eus-je le temps d'entendre le cliquetis de l'engrenage que la porte s'ouvrit sur Paul. Je pris enfin le temps de reprendre mon souffle, incapable de prononcer un mot. Je n'avais pas couru depuis l'époque du lycée et chaque inspiration et expiration me brûlaient tellement que j'aurais pu m'étouffer si j'avais tenté de prononcer un seul mot.

- Mademoiselle Margaret ? s'inquiéta Paul. Est-ce que tout va bien ?

Je ne réussis pas à lui répondre avant que la voix de Charles ne s'élève de l'intérieur et qu'il apparaisse face à moi dans les escaliers. Les mains posées sur les cuisses, pliée en deux de fatigue, j'observais chaque trait de son visage pour y détecter le moindre signe d'émotion positive.

- Ferme cette porte Paul ! lui ordonna-t-il.

Surprise, je me redressai pour protester, mais je n'avais toujours pas assez de souffle, encore moins pour porter ma voix jusqu'à lui. Charles dévala les marches avec rapidité et détermination tandis que Paul, qui n'avait sans doute pas connaissance de la situation, tentait d'éclairer son employeur caractériel.

Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now