Chapitre 59

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Trois quarts d'heures plus tard, je montais dans la voiture de Gab. Entre-temps, j'avais traversé toute la propriété à pied pour l'attendre au grand portail en fer forgé qui délimitait l'entrée. J'avais même dû pour la deuxième fois en si peu de jours, l'escalader pour sortir. Heureusement, Gab n'assista pas à ça sinon elle aurait carrément flippé.

Gabrielle fut assez polie pour ne pas me poser de questions durant tout le trajet. D'ailleurs, ça ne lui ressemblait pas du tout. Sans doute était-ce dû au fait que notre amitié se remettait à peine d'un tumultueux désaccord à propos de Charles. Cette histoire n'allait pas jouer en ma faveur, c'était certains. Mon amie avait l'air encore plus inquiète qu'hier si bien qu'elle refusa de me déposer directement chez moi sans que nous ayons eu une conversation. Elle m'invita au restaurant pour manger quelques sushis, mon plat favori et elle le savait. Depuis aussi loin que je m'en souvienne, on avait toujours pu m'acheter avec du poisson cru.

Ce qui à la base devait me réjouir et me réconforter me donna finalement le cafard. Je repensais avec nostalgie à un temps pas si lointain où Charles m'avait emmenée dans un restaurant absolument fabuleux. Je me remémorais ces moments où il me faisait encore la cour, à cette majestueuse fleur s'épanouissant dans le fond de ma tasse de thé, comme le bon présage d'une renaissance, de l'éclosion d'une nouvelle moi.

Le silence entre mon amie et moi dura jusqu'à ce que le serveur prenne notre commande et s'éclipse.

- Tu n'as pas été en cours ce matin ? s'inquiéta Gab car elle me savait très assidue en règle générale.

- Non, j'ai... J'ai oublié de mettre un réveil, mentis-je en cherchant mes mots.

Je pouvais lui raconter ce qu'elle voulait, mais je refusais de lui parler d'hier soir, de peur de l'inquiéter plus encore.

- Où est ta voiture Maggie ? débuta-t-elle son interrogatoire.

Si elle ne réussissait pas dans la médecine, elle pourrait au moins devenir détective.

- Au manoir !

- Pourquoi ai-je été forcé de venir te chercher ?

- Je suis désolée d'avoir dû te déranger.

- Maggie ! insista-t-elle.

- Je n'ai pas les clés, me défendis-je en levant les mains en l'air comme pour prouver ma bonne foi.

- Où sont-elles ?

- C'est Charles qui les a !

Elle m'observa en secoua la tête irritée.

- Je sais très bien ce que tu penses, enchéris-je. C'est un malentendu, je ne suis pas censée conduire à cause de ma cheville et Charles est en voyage d'affaires.

- Oui d'ailleurs, où sont tes béquilles ?

- Ça va beaucoup mieux, je pense que tout est rentré dans l'ordre.

- Si vite ? C'est impossible, même une entorse bénigne demande 2 ou 3 semaines d'immobilisation.

- Je sais, ça m'a étonné moi aussi, du coup j'ai pris un rendez-vous demain chez mon médecin pour voir ce qu'il en est !

Elle m'observa avec cet air qui disait que je n'étais qu'une débile profonde et je compris rapidement où elle voulait en venir.

- Tu sais que je fais des études de médecine ! s'offusqua-t-elle.

- Je ne voulais pas te déranger.

- Menteuse, tu n'y as même pas pensé.

- C'est bon, j'avoue, me rendis-je en tentant de détendre l'atmosphère en riant. Qu'en pense le médecin ?

Elle prit ma cheville entre ses mains et la tourna dans tous les sens, la palpant en essayant de m'arracher une grimace. Son examen ne dura que quelques secondes seulement, après quoi elle reposa mon pied à terre.

- Quel médecin Charles avait-il fait venir pour ta cheville ?

- Je ne sais pas, le sien j'imagine. Pourquoi ?

Elle grimaça sans s'en cacher tandis que nos soupes misos nous furent servies.

- Qu'est-ce-qui a ? lui demandai-je en attrapant ma cuillère.

- Son médecin est mauvais ! Tu n'as pas la moindre entorse.

- Comment ça ? J'ai souffert le martyre pendant presque deux jours. La douleur était insupportable, m'emportai-je fâchée qu'on puisse croire que je simule.

- Ne t'excite pas comme ça, me rabroua-t-elle. C'était un mauvais coup, tu devais avoir un hématome sous le pied c'est tout. La prochaine fois, dit à ton homme qu'avec tout le fric qu'il a il n'est pas obligé de se payer un médecin à deux sous.

Y aurait-il une raison pour laquelle Charles aurait pu demander à son médecin de me dire que j'avais une entorse alors que ce n'est pas le cas ? Quand je me suis réveillée son médecin n'était plus là, me remémorai-je. En avait-il seulement fait venir un ? Je tournai les choses dans tous les sens dans ma tête et ne trouvai qu'une seule explication à tout ça. Il m'avait menti pour que je reste chez lui, comme il me le suppliait depuis des jours et des jours. Je pâlis en me rendant compte de ce que Charles était capable d'inventer pour obtenir ce qu'il désirait. Pourtant, je me rappelais qu'il avait spontanément demandé si quelqu'un pouvait s'occuper de moi. Il était malin, très malin.

- Ce soir on sort ! clamai-je soudain revigorée.

- Là je te retrouve ! Benjamin peut venir ?

- Bien sûr !

J'étais une fois de plus très inquiète de voir jusqu'où pouvait aller Charles pour obtenir ce qu'il voulait. Décidément, rien ne pouvait l'arrêter, pas même le manque de décence. Je comptais bien profiter à fond de ces quelques jours loin de lui pour faire tout ce qu'il m'aurait probablement interdit de faire, comme sortir avec Gab et Benjamin dans un bar pour boire des mojitos framboise toute la soirée en se déhanchant sur de la musique un peu trop techno à mon goût, mais que l'alcool rendrait supportable.

Nous déjeunâmes Gabrielle et moi puis elle retourna en cours tandis que je pris la direction de mon appartement avec mon sac à dos. Lorsque j'en franchis le seuil, une vague de bien être m'envahit. Mon chez-moi n'était pas bien grand, ce n'était pas richement décoré, mais c'était cosy, on s'y sentait bien tout de suite. Je n'avais pas quitté mon cocon depuis très longtemps, mais j'eus cette même impression que si j'avais quitté mon pays pendant toute une année et que, malgré tout, je savais que ma place était ici.

Ma journée se passa comme une journée normale. J'annulai mon rendez-vous médical, allai en cours et reçus plusieurs messages sur mon portable que je lus durant ce dernier. Il y avait plusieurs messages de Gontran, me demandant quand on pouvait se voir pour travailler. Je ne lui répondis pas, le pauvre, trop absorbé par le destinataire du dernier message. Il s'agissait de Charles.

De Charles :

Bien arrivée à destination ! N'oublie pas d'aller en cours !

Comme promis je lui répondis, sans faire allusion à mes récentes découvertes. Ce n'était pas le moment approprié pour lui dire ce que je pensais de sa manière d'agir envers moi. Je comptais bien mettre les choses au clair dès son retour ou, tout du moins, au téléphone car je ne doutais pas que Paul finisse par appeler son patron pour lui avouer que j'avais déserté le manoir pour rentrer chez moi. Ce n'était qu'une question de temps.

Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now