Chapitre 21

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- J'ai couché avec quelqu'un ! scanda-t-elle partagé entre le chuchotement de rigueur et le cri de joie.

- Ben tu parles d'un scoop !

Confortablement installées sur les banquettes de la cafétéria, je profitai d'un bon thé chaud à la bergamote et de la présence de ma meilleure amie pour me changer les idées.

- Je m'en suis un peu doutée samedi soir quand tu ne m'as pas répondu. J'aurai pourtant cruellement eu besoin de conseils.

- Mais c'est vrai, ton rendez-vous avec Robin, ça c'est bien passé ? s'empressa-t-elle d'aller à la pêche aux informations.

- C'était court ! raillai-je en portant ma tasse à mes lèvres pour en aspirer une gorgée.

- Oh non, Maggie ! me houspilla Gab. Qu'est-ce que tu lui as fait ?

- Rien du tout, c'était un crétin. Nous n'avions absolument rien en commun.

- Permets-moi de te le dire, mais tu ne te trouveras jamais rien de commun avec personne si tu continues dans cette voie.

Pour être honnête, je n'étais pas vraiment d'humeur à recevoir des conseils ni à écouter ses leçons de morales. J'éludai le sujet assez rapidement pour que la conversation dévie aussi naturellement que possible sur Gabrielle. En plus, je n'avais pas du tout envie de me remémorer la triste soirée que j'avais passée ce jour-là.

- Ton samedi soir s'est bien passé alors ! gloussai-je.

- Mouais ça pouvait aller, mais ce n'est pas de mon coup de samedi soir que je voulais te parler.

- Pauvre homme, tu es une vraie mante religieuse Gab. À peine consommé aussi vite jeté.

- Comme tu voudras miss conseil à deux balles, mais là il ne s'agissait pas de n'importe qui.

- C'est qui ? demandai-je en trouvant son comportement très étrange.

C'était la première fois que je la voyais dans cet état. Elle tournait autour du pot, se cachait le visage dans le fond de sa tasse en me lançant des regards lourds de sens et pouffait tellement qu'elle en faisait des bulles dans son café. Je crois que c'est à cet instant-là que je compris, avant même qu'elle ne prononce son nom. Le sang présent dans mon visage disparut presque totalement, me laissant aussi froide et sans vie qu'une morte.

- Charles Potens ! s'exclama-t-elle au bord de la crise de nerfs.

Ça y est, j'étais morte pour de bon. Mon cœur s'arrêta quand j'imaginai Charles se remettre de notre rendez-vous dans les bras de Gab. Moi qui avais cru naïvement qu'il avait été différent avec moi, qu'il y avait eu quelque chose de particulier entre nous. Au final, notre petite altercation ne l'avait pas plus touché que ça. S'il ne répondait pas à mes appels, c'était tout simplement qu'il s'en moquait éperdument. Je n'étais qu'une fille de plus au compteur, une qu'il n'avait pas réussi à mettre dans son lit. Il était passé à autre chose, aussi facilement qu'on change de chaussettes. Comment avais-je pu me laisser berner au point qu'il ait réussi à me faire croire que j'étais spécial à ses yeux. Tout ça, c'était du flan. Je n'étais qu'une idiote. Combien avant moi avaient été emmenés dans son bureau pour discuter et apprendre à se connaître pour finalement se retrouver à l'horizontal sur son beau canapé en daim ?

- Tu ne dis rien ? s'étonna-t-elle. Je sais que tu ne lui trouves rien d'exceptionnel, mais rends-toi compte quand même.

- C'est arrivé quand ? bredouillai-je difficilement tout en tâchant de lutter contre de fulgurantes nausées.

- Dimanche soir !

Elle était tellement fière d'elle, tellement satisfaite que je dus me retenir de lui lancer le contenu de ma tasse en pleine figure comme dans les films. Elle s'adossa nonchalamment contre la banquette d'un air triomphant comme si Madame venait d'inventer la pénicilline alors qu'elle s'était juste offerte à un parfait imbécile manipulateur.

- Et comment c'était ? osai-je demander.

- Bizarre ! C'était hyperbestial, il veut absolument tout contrôler, mais ça ne m'a pas déplu pour une fois. Le mec n'a même pas pris le temps de se déshabiller en entier tellement il était chaud bouillant.

C'était le mot de trop. Je ne pouvais pas rester une minute de plus. Je me levai difficilement, les jambes tremblantes et les yeux rougis par l'humiliation intérieure que j'étais en train de vivre.

- Tu t'en vas ? s'enquit-elle.

- Oui, je ne me sens pas très bien !

- C'est clair t'es toute verte. Visiblement ça va pas mieux toi. Aller, je te raccompagne !

- Non, c'est bon, tu reprends les cours dans rien de temps, je suis venue en voiture.

- J'insiste, tu n'es pas en état de conduire.

Elle avait sans doute raison, il valait mieux que je rentre chez moi. Je n'avais pas envie d'en discuter plus longtemps et si ça avait été le cas, ça aurait été avec ma psy. Décidément, j'en avais des choses à lui raconter à ma prochaine séance. En moins d'une semaine, ma vie avait basculé à cause d'un simple regard, un seul, et même si j'avais mis du temps à l'admettre et à me lancer, je ressentais une foule de sentiments contradictoire pour Charles. Ils étaient nombreux et tous différents, pleins de nuances et tous compliqués d'une certaine manière. La bataille faisait rage au fond de moi, les bons sentiments contre les mauvais. De la passion, de la rage, de la curiosité, de la peur, de l'euphorie et de la colère. Comment savoir où donner de la tête, lequel écouter, à qui me vouer ? Chacun leur tour, ils prenaient le pas sur les autres, me transformant en monstre lunatique et fou allié.

Je devais m'en remettre, je devais prendre une décision radicale. Je devais oublier toute cette histoire et passer à autre chose. Peut-être Charles n'avait-il été que la flamme qui embrasa ma guérison, la lueur au bout du tunnel sombre qui n'avait que pour but de me montrer la sortie. Il avait au moins fait ça pour moi.

Gab me conduisit jusqu'à ma voiture et nous n'eûmes d'autres choix pour ça que de traverser quelques couloirs. Je tenais à peine debout et, tandis que nous nous dirigions vers la sortie, je laissais derrière moi tous mes souvenirs de Charles Potens.

- Tu as vraiment une sale mine, tu tiendras debout jusqu'à la voiture ? s'inquiéta Gab.

Je ne voyais pas vraiment pourquoi elle me disait ça. C'est vrai que, pour le coup, je ne me sentais pas vraiment bien. Mettez-vous à ma place ! J'avais déjà été plus en forme que ça, le choc sans doute. Nous atterrîmes enfin dans le hall et c'est là que je le vis. De loin, au travers d'une multitude de corps en mouvement, mais je le vis. Il m'observait, entouré d'une nuée de femmes toutes plus belles les unes que les autres. Le dernier regard que j'eus pour lui sonna comme un adieu. Lui, ne cilla pas, mais me suivit des yeux jusqu'au bout.


Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now