Chapitre 19

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J'étais sortie du bureau terriblement gênée, mais eus un dernier regard pour lui. Il n'en eut aucun pour moi. Il s'était déjà replongé à corps perdu dans son boulot, effaçant mon souvenir et ma présence de sa mémoire. Il était passé à autre chose et quand je le compris, mon cœur se serra comme jamais avant ça.

Trouver la sortie ne fut pas difficile, je n'eus qu'à suivre les loupiotes vertes au plafond. Inutile de vous dire à quel point je me sentais mal. J'avais honte d'avoir réagi ainsi, même si je savais très bien qu'au fond, tout ceci n'était pas vraiment ma faute. Un moment, j'émis jusqu'à l'éventualité de faire demi-tour et de tout lui expliquer : le pourquoi de ma réaction, ce qui m'était arrivé durant mon adolescence et comment j'appréhendais mes relations avec le sexe opposé. Mais ce n'était qu'une utopie. Les chances pour que je fasse une chose pareille étaient égales à zéro.

J'enfonçais les portes de sorties et m'arrêtai net sur le parvis de la faculté de médecine. La douce note de vent qui passa sur mon visage m'invita à prendre une grande inspiration et à faire le point sur la situation. Je me sentais terriblement mal et seule. S'il me l'avait demandé, j'aurai rebroussé chemin sur-le-champ.

Je me dirigeai jusqu'à ma voiture garée juste devant le bâtiment et m'y engouffrais en claquant furieusement la portière derrière moi. À ce moment-là, mon esprit n'était plus qu'un champ de bataille. Mille et une questions me trottaient dans la tête. Si je renonçai, si je partais tout simplement, je ne le reverrais plus jamais... Je pris soudainement conscience que cette simple idée me bouleversait. Je ne pouvais pas dire que j'avais des sentiments pour lui, mais il se passait quelque chose au fond de moi, une chose dont j'ignorais encore tout. Je ne comprenais ni mon corps ni ses réactions. L'état de détresse et de panique dans lequel j'étais en était la preuve.

Depuis quand étais-je devenue cette fille chiante, caractérielle et grincheuse qui ne se laissait attendrir par rien ni personne ? Pourtant, ça ne reflétait pas du tout celle que j'étais réellement. Qui étais-je vraiment de toute manière ? En avais-je seulement conscience moi-même ? Étais-je le résultat de mes mauvaises expériences, celle qui se méfie de tout et tout le monde, ou au contraire celle qui se terrait bien au chaud tout au fond de moi et qui ne rêverait que de s'épanouir ? Laquelle de ces deux personnes étais-je ? Cette question n'était pas simple, même ma psy n'avait pas la réponse. Difficile de savoir si l'on est ce quel'on devait être envers et contre tout ou bien la conséquence de nos expériences.

Mon regard embué de larme parcourait sans but les centaines de fenêtres qui composaient la façade de l'Université jusqu'à finalement trouver ce que je cherchais. La seule fenêtre au travers de laquelle la lumière filtrait encore, celle du bureau de Charles. Je crois que c'est à cet instant qu'il fut clair que je ne pourrais pas mettre le moteur en marche et partir sans avoir essayé une dernière fois.

Je pris mon téléphone dans mon sac et composais le numéro de téléphone de Charles. La sonnerie retentit en vain dans le vide jusqu'à ce que je tombe sur sa messagerie. Je réessayai une deuxième fois, une troisième, une quatrième même, sans succès. Il n'avait clairement pas envie de me parler.

Je sais que je l'avais giflé et plus le temps qui nous séparait du geste fatidique s'allongeait, moins je me comprenais. Il avait cent fois raison de ne pas vouloir me parler. J'étais étrange et odieuse. Pourquoi ferait-il le moindre effort pour arranger un semblant de flirt avec une fille aussi lunatique et indomptable que moi ? Il n'allait pas se donner cette peine alors qu'il lui suffisait de claquer des doigts pour obtenir des femmes tout ce qu'il désirait. Leur loyauté, leur amour, leur corps... Des filles malléables et faciles à obtenir.

Je n'étais pas en train de m'avouer que je désirais que Charles Potens m'aime, je n'en étais pas encore là, mais il avait montré un certain intérêt pour moi. Il s'était donné du mal pour obtenir mon numéro et pour finalement passer un peu de temps en ma compagnie. Pour quelqu'un qui pouvait tout obtenir très vite, cela avait dû lui demander un effort nouveau. Même si, au départ, je ne m'étais pas montré très réceptive du fait de mon manque d'ouverture et ma grosse carapace, je devais bien admettre que le regard nouveau qu'il avait posé sur moi m'avait troublé plus que je ne voulais le croire.

Mes appels restèrent sans réponse, mais je ne lâchais pas si facilement. Retourner dans son bureau ne faisait pas partie des possibilités que je m'étais listée. D'abord parce que j'avais peur de me retrouver face à lui et puis parce que je ne voulais pas être rejetée sans ménagement ou bien qu'il prenne ma présence comme une porte ouverte à une réconciliation mouvementée sur son fameux canapé noir. J'étais touchée par notre dispute, mais prudente quand même.

Puisque Charles refusait de répondre à mes multiples et pressants appels, je décidais de l'attendre dans ma voiture. Il finirait bien par terminer son travail et par rentrer chez lui. Comme j'étais garée à côté de sa splendide voiture, je n'aurais plus qu'à lui présenter mes excuses. Il aurait eu le temps de se calmer et le fait que je l'ai attendu si longtemps le touchera peut-être au point d'adoucir son humeur.

Je patientais donc, les yeux rivés sur sa fenêtre, une heure,puis deux, puis trois, jusqu'à ce que l'horloge numérique de ma voiture n'affiche finalement deux heures du matin. La lumière de son bureau s'éteignit et je sus que le temps était venu pour moi d'être convaincante. Je sortis de ma voiture pour qu'il puisse me voir dès qu'il aurait franchi les portes donnant sur le parvis avec une angoisse non dissimulée. Je tremblais de tous mes membres à cause du stress et ne savais pas du tout par quoi je commencerai lorsqu'il apparaîtra devant moi.

La question ne se posa pas très longtemps. J'attendis plus de temps qu'il ne lui en aurait fallu pour sortir de l'Université sans qu'il ne pointe le bout de son nez. Je remontais en voiture et recomposais une fois de plus son numéro. Cette fois-ci je tombais directement sur la messagerie. Il avait éteint son téléphone. J'attendis encore une heure avec le faible espoir qu'il passe la porte, en vain.

Il n'était pas envisageable que je rentre chez moi sans qu'il ne sache que j'avais besoin de lui parler. Lui laisser un message sur son téléphone c'était prendre le risque qu'il soit supprimé sans être entendu. J'optais donc pour quelque chose qu'il sera obligé de lire, peut-être même malgré lui. Je déposai un petit morceau de papier sur son pare-brise que je glissai sous l'un de ses essuie-glaces avec ces deux mots "appelle-moi".



Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now