Chapitre 69

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J'étais encore sous la douche, à essayer de nettoyer mes idées autant de mon corps quand j'avais entendu la sonnette d'entrée retentir dans toute la maison, comme une grosse cloche d'église. J'en déduisis que le Docteur Petitjean était enfin arrivé. Malgré ce que pouvait en penser Paul, j'étais certaine que c'était une bonne idée. Charles avait besoin d'un médecin, mais aussi d'un ami.

Je ne savais toujours pas si je devais le plaindre ou bien le maudire pour ce qui c'était passé un peu plus tôt. J'étais encore sous le choc de tout ça et me repassais le film dans la tête un milliard de fois. Si, à un moment, je m'étais sentie prête à avoir un quelconque degré d'intimité avec lui, cela avait volé en éclat à partir du moment où il avait voulu contrôler la situation au point de ne plus me laisser être la seule personne maîtresse de mes mouvements. Sans s'en rendre compte, très certainement, il m'avait entravé, empêché de partager avec lui ce moment d'érotisme que j'aurais sans doute accepté si je ne m'étais pas senti prise au piège. Et puis, tout est allé très vite dans ma tête, je n'avais pas su gérer ce rapprochement, sans doute parce que je ne m'y étais pas assez préparée.

De son côté, il n'avait pas été assez à l'écoute, il s'était laissé emporter et n'avait pas suffisamment réussi à me mettre en confiance. Tout cela n'était pas ça faute, comment pouvait-il réellement savoir ce qui régissait mes réactions et ce qui gouvernait mes décisions ? En revanche, si j'avais pour beaucoup ma part de responsabilité dans toute cette histoire, Charles avait fait preuve d'une réaction très violente, trop violente par rapport à la situation. Je pouvais comprendre qu'il soit agacé, en colère, frustré, mais à ce point ? Certes, il avait pu vivre cet épisode comme humiliant, mais, bien que je ne sois pas encore du tout capable de lui révéler la vérité, jamais il n'avait vraiment pris le temps de s'intéresser aux raisons qui me poussaient à refuser ce genre de contact avec lui. Tout comme le fait que je refuse encore d'admettre et de lui parler du fait qu'il ait un problème avec sa vision de l'amour et son rapport avec le sexe.

Un bon quart d'heure plus tard, je sortis enfin de ma douche, ayant repris de plus belle mes horribles habitudes chronophages. Je pris soudainement conscience que ma guérison intérieure ne tenait qu'à un fil. Je décidai de prendre l'air et sortis pour m'asseoir sur les grandes marches menant à la porte d'entrée. De loin, je vis Squeezy jouer dans l'herbe, faisant des bonds de géant pour tenter d'attraper l'objet de tous ses désirs, un paillon. Il était tellement heureux ici que je me promis de ne jamais l'arracher à ce cadre magnifique. Si Charles me demandait de partir, là maintenant, je lui obéirais et partirais. Je l'aimais de toutes mes forces, mais jamais je ne supporterais de le voir se faire du mal pour moi. Je n'en valais pas la peine. Je commençais à douter du fait de pouvoir le rendre un jour heureux. Oui, si Charles me disait de retourner d'où je venais, j'y retournerais et confierais ce bon vieux Squeezy à Paul.

La voiture de George se trouvant encore dans l'allée, je décidai d'attendre qu'il s'en aille pour prendre des nouvelles de Charles. La situation entre nous était trop tendue pour que je n'ose aller lui parler. J'attendis ce qui me sembla être des heures. Cela me conforta plus encore dans l'idée que le rôle du Docteur Petitjean s'étendait bien au-delà de celui de médecin et, finalement, il apparut sur le perron. Je me levai brusquement et vins à sa rencontre.

Je lui trouvais tout d'abord un drôle d'air avant de finalement comprendre que c'était dû à l'énorme coquart qu'il avait à l'œil gauche et à sa pommette toute tuméfiée.

- Oh mon Dieu qu'est-ce qui vous est arrivé ? m'exclamai-je.

Lui qui était si bel homme, il fallait bien l'avouer, était totalement méconnaissable.

- Je me suis heurté à la fierté d'un homme, répondit-il en trouvant cela amusant. Je ne vous en veux pas de lui avoir conté notre rendez-vous et la manière un peu déplacé dont je me suis comporté.

Je compris tout à coup qu'il faisait référence à mon rendez-vous médical dans son cabinet. Charles m'avait tellement tiré les vers du nez que j'avais finis par lui raconter que je n'avais pas apprécié la façon d'être de son ami. J'eus soudain tellement honte de moi que je ne sus plus où me mettre.

- C'est Charles qui vous à fait ça ? m'horrifiai-je. Je suis désolée, je ne voulais pas, mais...

- Je sais qu'il peut être très persuasif.

- Je n'aurais jamais dû vous faire venir ici, vous avez vu votre œil ?

- Oh non, étant donné l'état de son poing, jamais il n'aurait pu m'asséner un tel coup. C'est arrivé ce matin lorsqu'il est passé à mon cabinet pour marquer son territoire.

- C'est extrêmement excessif, m'agaçai-je.

- Il est comme ça.

- Et pourtant, vous n'avez pas hésité à vous déplacer pour le voir malgré ce qu'il vous a fait ? Pourquoi ?

- Cette histoire était finie à l'instant même où son poing a touché mon visage. J'ai des raisons de lui pardonner si facilement, même si je garde tout ça en mémoire.

- Est-ce qu'il va bien ? m'enquis-je en m'imaginant ce que Charles avait bien pu lui raconter.

- Il va s'en remettre ! Sa main certainement mieux que son ego, mais ça va aller.

- Je ne sais pas ce qu'il vous a raconté, mais...

- Je ne veux pas savoir à quel jeu malsain vous jouez tous les deux, me coupa-t-il la parole en descendant quelques marches pour se rendre jusqu'à sa voiture. Mais si je peux vous donner un conseil, faite bien attention à ce que vous faites. Je n'ai jamais vu une femme le mettre dans un tel état. Jamais !

Qu'est-ce que tout ça voulait dire ? Pourquoi me mettait-il en garde. Et moi ? On y pensait à moi ? Pourquoi personne ne semblait vouloir se demander pourquoi je rejetais un homme que toutes les femmes désiraient ? Tout le monde devait penser que je me jouais de lui, que je le torturais par pur plaisir.

- Normal, je suis la seule avec laquelle il ne couche pas, lançai-je amère.

George qui était déjà quelques marches plus bas que moi, se retourna pour me toiser, il eut une drôle de réaction, comme s'il réfléchissait à ce que je venais de lui dire et il continua comme si de rien n'était sa descente.

- Bonne journée à vous Margaret ! me dit-il avant de remonter dans sa voiture et de quitter la propriété.

Les semaines qui passèrent après ça furent très difficiles pour nous deux. Je refusais de partir sans que Charles ne m'en donne expressément l'ordre et, même s'il mourait sans doute d'envie de me le dire, il ne pouvait pas car il ne m'adressait pas le moindre mot. C'était très étrange comme situation. Je voulais lui montrer que cet épisode ne changeait aux sentiments que j'avais pour lui. Bien que cela ait viré au cauchemar, malgré le fait que je l'ai repoussé, je l'aimais.

Nous nous croisions dans les couloirs du manoir, nous montions dans la même voiture et dînions ensemble le soir à la même table, sans que l'un de nous deux n'ose réellement faire le premier pas. Si dans mon cas il n'était question que de courage, je n'étais pas certaine qu'il en soit de même pour Charles. Je voyais bien qu'il n'avait aucunement envie de me parler. Comme pour me punir, il m'autorisait sans doute à rester chez lui pour que je puisse observer le ballet sans fin des femmes qu'il ramenait chaque soir au manoir, lui dont Paul m'avait certifié que j'étais la première et la seule femme qu'il ait ramenée en ces murs. Nous, qui adorions nous pelotonner l'un contre l'autre la nuit, ne dormions plus ensemble.

J'étais à la fois blessée et humiliée de les croiser dans les mêmes escaliers que moi au petit matin, toutes fraîches et sexuellement satisfaites. J'entendais, comme une bande-son pour me faire devenir folle, les jouissements de plaisirs de ces dernières trouvailles de la journée, au beau milieu de la nuit. Je ne compris pas pourquoi je me laissais traiter de la sorte, ni pourquoi j'autorisais cela, mais je ne pouvais pas revenir sur ma parole quand bien même je savais qu'il en jouait pour me faire craquer. Notre manque de communication à tous les deux transformait notre quotidien en une véritable farce. Tout cela était très malsain.

Pour me changer les idées, je me lançais à corps perdu dans mon exposé avec Gontran. Deux semaines plus tard, nous obtenions un 18 sur 20 bien mérité ainsi que notre diplôme. Le lendemain matin, je trouvais un petit mot manuscrit glissé sous ma porte avec comme seule inscription : Félicitations !

Son premier mot depuis des semaines, même s'il était manuscrit, déclencha un tsunami de bonheur en moi. Sans lui, je n'étais qu'une coquille vide.

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