Chapitre 20

316 18 0
                                    


Quel homme fou rappellerait une femme qui l'avait giflé ? Visiblement pas Charles Potens. Je passai un dimanche calamiteux, espérant, priant de toute mon âme pour qu'il s'exécute, qu'il réponde à mon message, qu'il m'appelle. Avais-je réellement cru qu'il le ferait. J'avais passé le fin de mon week-end à me morfondre, allongée sur mon canapé devant un navet télévisé, mon téléphone à quelques centimètres seulement de mon visage, juste au cas où. Mon seul réconfort fut la proximité chaude et rassurante de Squeezy.

C'est fou ce que les animaux pouvaient ressentir pour nous. Il partageait avec moi une profonde nostalgie et une perte d'énergie incroyable. Il passa la journée en boule sur mon ventre à se contenter de grattouilles sur le flanc.

J'aurai aimé que les choses se soient passées différemment, que je n'ai pas eu la réaction que j'avais eue, mais en vrai il y avait tellement d'autres choses que j'aurai aimé voir se produire différemment. Tout d'abord, j'aurai aimé ne pas accepter de dormir chez cette copine quand j'avais seize ans, ne pas m'être gavé avec elle devant la télé de ce paquet de chips qui m'obligea à me relever en pleine nuit pour boire un verre d'eau dans la cuisine. J'aurai aimé savoir me défendre, avoir eu la présence d'esprit de le repousser et me souvenir pourquoi je n'ai rien fait pour l'en empêcher. J'aurai préféré que ma mère soit plus attentive à moi, qu'elle comprenne que je n'étais pas bien, que le secret que je portais était trop lourd pour mes épaules. J'aurai souhaité bien des choses, c'est vrai, comme d'avoir une relation normale un jour dans ma vie sans me sentir obliger de repousser quiconque avait un geste tout à fait banal envers moi. Il était impossible de revenir en arrière.

Charles était devenu en quelque temps seulement comme une thérapie à laquelle je ne pouvais plus renoncer, une thérapie courte et brutale, mais une thérapie quand même. Durant toute la journée, je tentais de le rappeler sans entendre la moindre tonalité à l'autre bout du fil, de même que les deux jours suivants.

Le mardi, mon moral était au plus bas et mon humeur glaciale. Gab en fit les frais plusieurs fois et pour ne pas avoir à m'étaler sur la cause de ma mélancolie, j'avais inventé une grosse grippe qui me clouait au lit. Je n'étais pas allée en cours la veille, mais ne pus resquiller plus longtemps. En effet, j'avais un devoir important à rendre aujourd'hui que je le veuille ou non. Je fis donc l'effort de m'habiller pour aller jusqu'au campus afin de rendre mon travail. Je dus attendre devant la porte que le cours se termine pour le remettre en main propre à mon professeur et m'excuser par la même occasion de mon absence. Monsieur Peters m'avait jeté un regard en biais assez énigmatique avant de finalement ajouter "Vous avez une sale tête, si j'avais su que vous étiez aussi malade, je vous aurais laissé un délai supplémentaire. Rentrez chez vous et reposez-vous." Je ne sus pas bien comment je devais le prendre dans la mesure où, du point de vue strictement viral, je me sentais parfaitement bien.

Comme j'étais déjà sur le campus et qu'une seule et unique chose envahissait mes pensées à chaque instant, je pris une décision qui ne me ressemblait pas du tout. Je devais le tenter, lui parler malgré son envie flagrante de m'ignorer jusqu'à la fin de ses jours. Je devais en avoir le cœur net, savoir si je devais faire une croix sur lui ou continuer à croire en la faible lueur d'espoir sur laquelle je soufflais depuis deux jours comme s'il s'agissait d'une braise qui n'attendait que mon souffle pour se transformer en brasier.

Ni une ni deux, je me dirigeai d'un bon pas vers la faculté de médecine. Les lieux étaient remplis de monde, le parvis prit d'assaut par les stands à sandwich et à café qui s'étaient donnés pour but de boucher les artères de ceux qui seront plus tard tous de futurs médecins plus ou moins compétents.

J'avais l'intention de foncer tout droit jusqu'au bureau de Charles, prise d'une soudaine et insoupçonnée force intérieure, quand on me tira par le bras.

- Te voilà enfin ! claironna Gabrielle.

- Ah c'est toi ! ne trouvai-je rien d'autre à dire mi-rassurée mi-agacée.

- Ben oui qui d'autres ?

- Ben personne ! grognai-je.

- T'as vraiment une sale tronche ! Tu dois en tenir une bonne ! Qu'est-ce que tu fais en dehors de ton lit ? me gronda-t-elle comme si elle était mon médecin généraliste en personne.

- Je devais absolument déposer un devoir pour aujourd'hui.

- Si tu me l'avais dit je serais venue le chercher chez toi et je m'en serais chargée.

- Je ne voulais pas te déranger avec ça.

- Tu ne me déranges pas voyons et finalement je suis contente que tu sois quand même sortie de ton lit, trépigna-t-elle.

Elle réussit à m'arracher un sourire et à me faire oublier un instant la raison de ma venue jusqu'ici.

- Ah je te retrouve enfin ! clama-t-elle. J'ai trois quarts d'heures avant le prochain cours, ça te dit qu'on prenne un café ? Il m'est arrivé un truc de malade que je dois absolument te raconter.

Et sans attendre ma réponse, ni même me laisser le choix, elle m'entraîna avec elle.

Cœur ArtificielKde žijí příběhy. Začni objevovat