Prologue

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An 360 Après Léonilde

Le feu lécha la paille amassée sous le bûcher. Attachées aux poteaux qui surplombaient la chaume, trois jeunes femmes vêtues de noir contemplaient les flammes qui rampaient vers elles. Ni peur, ni fureur ne se reflétait dans leurs yeux.

Sur la place, une foule assistait à l'exécution, on se poussait, se bousculait pour voir le visage des sorcières. Les chanceux des premiers rangs pouvaient même apercevoir, à travers les bareaux de fer de leur geôle, les silhouhettes des suivants et des suivantes, qui, entassés dans leurs minuscules prisons ne pouvaient que contempler le massacre de leurs semblables.

Pour un événement de si haute importance, la famille royale s'était réunie sur la plus vaste terrasse du palais et saluait son peuple. La reine, le roi et leurs quatre enfants étaient entourés par la garde royale dont l'uniforme vert et or contrastait singulièrement avec les tenues sombres de leurs compagnons d'en bas, ceux qui menaient l'exécution.

Ceux-ci, ceux du bas, ceux qui se trouvaient au niveau du peuple, mais conservaient une place d'honneur dans la société,  dissimulaient leurs visages derrière des capes noires. Des tentures sombres, pour se fondre dans l'obscurité des bois, des tentures sombres pour cacher leur visage. On disait que leur métier était le plus dangereux, que si on reconnaissait leur visage, alors ils seraient traqués par les habitantes de la forêt. Que les sorcières les pourchasseraient, en quête de vengeance. Elles ouvriraient ventre et coeurs, avant d'utiliser leurs corps, vidés de sang, dans on ne sait quels rituels. 

Ces hommes, connus comme les éternels protecteurs du peuple, mais aussi comme le cauchemar des enchanteurs étaient appelés : les chasseurs de sorcières. 

En ce jour d'Harenae, le dernier des mois de Soleil, tous étaient concentrés sur le brasier. Ses flammes dansantes, miroitant dans la lumière, projetant leur propre éclat doré, avançaient vers les blanches jambes des sorcières, avançaient vers les créatures qui gangrenaient leurs forêts et s'apprêtaient à les dévorer, à les exterminer. Tous contemplaient ce spectacle, admiratifs, impressionnés, béats d'espoir. Tous étaient tournés vers lui, vers ce feu, ce bûcher, ce brasier, qui allait les libérer. 

Si tous voyaient les flammes, personne ne remarqua celle qui brûlait dans le coeur d'une des enchanteresses enfermées. Personne ne l'entendit murmurer sa formule. Et personne ne vit son éclair néfaste jaillir de la cage, avant qu'il ne soit trop tard. Il atteignit le balcon royal, le marbre se fissura, traça une toile d'araignée qui se défit dans le vacarme des blocs de pierre qui s'effondraient. L'espace d'un instant, la poussière recouvrit la grande place. 

Quant elle s'écarta, le spectacle qu'elle révéla se déroulait sur fond rouge. Rouge feu, mais aussi rouge sang. 

Les soldats avaient eu à peine  le temps de rentrer la souveraine à l'intérieur, mais le reste de sa lignée avait basculé dans le vide. Sauf une minuscule silhouette, une petite princesse haute comme trois pommes, qui gigotait, battait désespérément des jambes et s'accrochait aux bras de sa mère. Mais un second assaut la fit lâcher prise et son petit corps tomba dans les gravats.

Ses cris d'effroi furent couverts par les hurlements à fendre l'âme de la dirigeante qui appelait sa fille, elle voulait la rattraper, courir au bord, sauter avec elle si nécessaire, mais ne pas la laisser mourir seule. Malgré ses cris, les gardes la retenirent. Ils ne pouvaient pas se permettre de perdre la reine. Elle cessa de se débattre quand elle vit le corps brisé de ses enfants et  son mari dont le sang se mêlait et colorait de rubis les ruines en contrebas. Détruite, elle tomba à genoux, appela les membres de sa  famille un par un, supplia les dieux de les lui ramener. Mais si les divinités accomplissaient les désirs des Hommes alors la misère n'existerait pas.

La souveraine d'habitude si froide et respectable perdit toute dignité et pleura jusqu'à n'en plus pouvoir. Les soldats la portèrent vers des quartiers plus sécurisés. Elle n'avait plus la force de résister, alors elle se contenta de lâcher quelques sanglots silencieux. A force de cris, sa voix s'était envolée.

À l'extérieur, la guerre continuait. D'autres sorcières étaient sorties des bois, celles de la cage s'étaient libérées et sur le bûcher seulement la paille et le bois brûlaient. Les prisonnières avaient traversé les flammes avant qu'elles ne soient trop hautes.

Enchanteresses, enchanteurs et chasseurs se battaient dans un tourbillon de capes obscures. Les paysans bloqués au milieu des combats tentaient vainement de s'échapper. A force de sortilèges, coups d'épées et flèches envoyées depuis les hautes tours, la place et les rues alentour se couvrirent de corps et les murs s'étaient repeints de rouge.

Au milieu des combats, une jeune femme jetait des sortilèges, en direction des membres de l'armée, tout en courant pour s'extirper de la mêlée. Sa chemise de la couleur de la nuit avait été découpée au niveau de son abdomen. La déchirure découvrait la fine ligne sanglante qui barrait les deux cercles noirs tracés autour de son nombril. Ils avaient cru la débarrasser de ses pouvoirs, la purifier comme ils disaient. D'un éclair sombre, elle perfora la tête d'un chasseur. Cela lui apprendrait qu'on ne supprime pas la magie comme ça.

Mais déjà, des renforts arrivaient prévenus par les gardes du palais. La place était désormais emplie de tellement de monde qu'il devenait difficile de se repérer. Alors chacun se déplaçait dans tous les sens, cherchant une issue. Pour fuir, on se frappait avec tout ce qui était à portée de main. Couvertes de sang, de poussière et de débris, les différentes castes se confondaient, les sorcières foudroyaient leurs compagnons persuadées qu'il s'agissait de chevaliers, les véritables fantassins transperçaient des paysannes qu'ils prenaient pour des perfides enchanteresses et le petit peuple frappait à coups de pioche ou de râteau autant leurs défenseurs que les criminels.

Piégée dans ce capharnaüm, la farouche tisseuse de sorts, ne pouvait que pousser à force de coups de pied, de genou ou encore de coude les individus sur son passage, envoyant des maléfices à tous ceux qui l'approchaient d'un peu trop près.

Soudain on la saisit fermement par le bras. Elle se retourna vivement pour riposter, mais aperçut les brûlures qui couvraient les pieds de son agresseuse. La grande femme la mena jusqu'à une ruelle sombre, puis repartit chercher ses autres protégés. Ce ne fut qu'au coucher du soleil que le groupe de rescapés put retourner discrètement dans les bois.
Malheureusement il manquait encore nombre de leurs camarades.

Le massacre ne se termina qu'au plus profond de la nuit, quand les cadavres et l'obscurité rendirent impossible la poursuite des fuyards. Mais il n'eut jamais vraiment de fin, les blessures et les pertes continuèrent de hanter les témoins et participants durant des décennies. Ce jour là la graine d'une guerre avait germé, et elle continuerait de pousser jusqu'à recouvrir l'ensemble d'un monde et  le plonger dans les ténèbres les plus profondes.

MagissaWhere stories live. Discover now