Chap III : Le Talent D'un Aventurier (3/3)

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J'en reviens à mes deux morts-vivants, prête à en découdre. J'ai semé, je n'ai plus qu'à attendre. Ma flèche placée en avant, je suis prête à viser l'un d'entre eux.

La paire chimérique s'élance vers moi. Je lâche mes prises. La première percute la petite bête l'assommant un moment. Le plus grand, encore en l'air, termine près de moi et lève la jambe gauche, décidé à refaire le même coup que tout à l'heure.

Je lâche à nouveau ma prise qui le perfore la jambe avant de faire de même avec un arbre sur sa trajectoire. La créature ne semble pas en être affligée et lève son bras droit comme s'il eût encore son avant-bras et sa main.

Brusquement, le bras gigote, la peau se met en branle avant de libérer une main minuscule qui forme de suite un poing et se retrouve projeté dans ma direction. Je l'évite tout en portant un regard vers le petit e-motio, recouvrant ses esprits.

Je m'éloigne des deux e-motios et m'introduis dans la forêt. Sachant qu'ils me suivront, je me dois de gagner du temps pour la prise de décision de Joe.

Le fossé de temps séparant la terre et Lodart est démentiel. Il est quasi impossible de statuer quel instant ciblé sur terre possède son équivalent dans cette dimension, même sur un intervalle de dates éloignées. Cependant, lorsqu'une connexion est opérée par un aventurier, il est vraisemblable de pouvoir atteindre certains points liés à l'événement émotionnel capté par les e-motios. En clair, il m'est difficile de préciser à quel moment de mes échanges avec cet e-motio, le titulaire de ces émotions réagira.

Je me souviens des paroles de mon professeur à Éris : « Les e-motios captent les émotions, mais celles-ci peuvent changer à cause d'un concours de circonstances touchant le titulaire ».

Le vent devient de plus en plus glacial et gorgé de gouttes de pluie au fur et à mesure que je m'enfonce dans la forêt. Nous en avons encore pour longtemps. Un craquement m'interpelle. C'est la carcasse qui fonce déjà dans ma ligne de mire.

Je stoppe ma course. Je lève à nouveau mon arc tout en cherchant des yeux l'e-motio principal. Je tourne subitement mon visage. La petite bête me saute dessus avec force me poussant à reculer de quelques pas. Je glisse et me retrouve à déballer une rude pente. Je perds l'usage de mes sens, me découvrant incapable de définir ses limites. Je pressens la même perturbation chez l'e-motio.

La chute prend fin. Je suis suspendue en l'air, la main serrant toujours mon arc qui est maintenu par deux branches aux petits bourgeons apparemment bien enracinés. L'e-motio continue la chute dans le vide.

La forêt s'étend à perte de vue sous mes pieds. L'averse se présente telle une dune de sable, disproportionnée sur toute sa longueur à cause du relief.

Je grelotte en suffocant, par moment. La position n'est pas idéale. J'ai beau être fière de ma formation auprès des anges, n'en démorde qu'une pneumonie est envisageable. Je lève la tête péniblement et repère la carcasse dévalant à son tour la pente. Elle finit dans le vide, les bras ballant.

Je vois soudain un point briller au loin, dans la direction de la vaste forêt. Une étoile ferait office de comparaison. Cette dernière s'intensifie. Blanche au départ, elle vire au bleu azur et emplit une large surface si bien qu'elle achève d'happer la carcasse tombant.

La boule lumineuse se concentre autour de la carcasse. La vie s'infiltre en elle. Je ne vois plus le petit e-motio. Une fraction de seconde plus tard, une lumière éblouissante luit d'une forte intensité, m'obligeant à abattre les paupières. Ceci me rappelle la douleur qui ne fait que croître dans mes membres.

— Incroyable, lâché-je, en ouvrant des yeux écarquillés.

L'e-motio vient de produire un autre sentiment surplombant l'autre, le transformant des pattes au crâne. Malgré la distance ne faisant que se démarquer, je note une tête en forme de brocoli, des mains plus longues que son précédent état, de longues jambes et au milieu, une vive lueur plaçant le dévoreur tel un astre s'échouant au milieu de cette luxuriante forêt — C'est renversant.

Je me décide à ne pas m'éterniser dans cette douloureuse position de condamné. Je puise dans mes dernières ressources pour me hisser sur mon arc, rien n'y fait. Je prends tout de même appui de mes deux mains, permettant à mon bras gauche de souffler dans ce fugace équilibre. Je lance à nouveau un regard jaugeur vers le sommet de la pente que j'aperçois péniblement. Je considère un arbre ni trop loin ni trop près, pouvant me hisser sur un meilleur endroit que celui-ci. Je cible du regard non sans un cri, le tronc d'un arbre me paraissant bien ancré dans le sol.

Je vise des deux mains et serre mon arc, au point de m'arracher la peau. Je suis subitement propulsée vers l'arbre. À son approche, je m'agrippe tout en haletant avec ferveur. Mon poids ayant doublé, je ressens deux fois plus de douleur que sur la terre ferme. Mes muscles me font comprendre leur malheur. Je me mets à trembler, non encore remise de ce dernier soupçon d'acrobatie exécuté. Je ferme les yeux. Je cherche à calmer la douleur aussi bien au niveau du corps que celui de la tête, dansant de vertige.

Je n'ai pas le temps de souffler que l'arbre se raidit en un craquement me glaçant jusqu'à l'os. Je lève le torse. L'arbre se déracine seconde après seconde. Suffit de rêverie, il faut réagir — Ma tête a beau taper du poing, il n'en est pas moins que je vivrais — et je m'élance à nouveau dans le vide, finissant contre un autre tronc d'arbre. Le même exercice est reproduit encore et encore.

Un éclair assourdissant zèbre la voûte céleste. Je mets enfin le pied sur la surface plane, non sans peine de me retrouver, glissant le long d'une botte de boue. Cela m'obligerait à user de plus d'énergie pour plaquer fermement mes doigts dans la terre avant de me hisser et cela à chaque poussée.

Je me hisse enfin au sommet, accroupie, haletant vigoureusement. Contre cet e-motio, je n'ai exhibé que deux de mes armes. Cela reste une expérience enrichissante. Un sentiment fâcheux a été détourné. Je dois en savoir plus sur les e-motios de cette engeance.

Je me surprends à marcher d'un pas régulier, faisant fi de la douleur de mes muscles. Mon encadrement à Éris offre de beaux résultats. Je ne pourrai espérer explorer cette forêt dense et extrêmement dangereuse sans un entraînement adéquat. Je revois encore le visage inquiet de Denailis, ma tutrice, trop mère apeurée à mon goût. J'ai beau ne lui avoir jamais désobéi et de l'avoir suivi, je... Je n'arrive pas à la voir comme ma mère. Peut-être parce que je le sais.

Je rêvasse encore lorsque je m'aperçois au son des petites tranchées et des fins ruisseaux, ainsi que du clapotis des gouttes d'eau atterrissant sur la vase, que l'orage est passé me laissant trempée et bien garnie de boue. Instinctivement, je lève mes pupilles vers le ciel. Le vent se faisant discret à chaque minute qui s'estompe, pousse énergiquement les nuages gris qui laisseront bientôt la clarté des premiers rayons du soleil. C'est complètement terminé.

Je ramène ma vue sur mon chemin. Non pas qu'une route ait été tracée à travers cet amas de plantes s'élevant bien haut — abritant pas moins d'un millier de bestioles inoffensives comme nuisibles — mais ce petit tronçon provoqué par l'afflux d'eau, m'oriente sur la voie à emprunter afin d'atterrir sur un terrain plus sûr.

Devant moi, un personnage cagoulé, vêtu d'un manteau noir, le rendant presqu'invisible par ce temps, reste droit à quelques mètres. Il n'est pas seul. Deux autres ombres sortent de derrière deux autres arbres sombres et se rapprochent du premier.

Nul doute que c'est moi qu'ils visent. Je viens de repousser un e-motio fort collant, et me revoilà déjà dans une autre affaire. Je dois mettre à plus tard mes plaintes. Je viens de constater qu'ils sont armés.

 Je viens de constater qu'ils sont armés

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Ce Que Tes Émotions Leur FontOù les histoires vivent. Découvrez maintenant