Chap VIII : Ce Que Cinq Faces Ont En Commun (4/5)

38 11 110
                                    

Je vois un mur blanc. Il n'y a rien d'autre. Puis, une rumeur et des gloussements me parviennent. Ce sont des femmes. L'une d'entre elles attire l'attention de sa collègue sur la banalité d'un personnage :

— Tu te souviens de Tegusa, mon ancien administrateur de fond public ?
— Ah oui, le beau brun ?
— Oui, il a eu un p'tit problème là où tu penses... et tu sais quoi ? Il s'en est pris à son médecin parce que ce dernier ne lui trouvait pas de remède immédiat. Si tu l'avais vu, il est devenu hystérique. Il a failli rompre le cou du médecin, le pauvre...

Je perçois de nouveaux gloussements. Elle se remet à parler :

— En tout cas, quoi qu'il arrive, il sera mieux que la serpillière ambulante, murmure-t-elle.
— Chut ! Il n'est pas loin, il pourrait t'entendre...
— Et alors ? Ça ne lui donnera pas meilleure allure ?

Un second gloussement. Des bruits de pas s'ensuivent. L'instant d'après, c'est le noir total. Mais une voix dure et rauque, une voix d'homme déchire le silence :

— Eh, La serpillière... Qu'est-ce que tu regardes ?

J'entends des pas sur le carrelage, suivis d'offenses mal venues à l'encontre d'un homme, dont les secousses physiques me parviennent nettement.

— T'es même pas foutu de sourire. C'est ton boulot, non ? Allons, souris... Eh, serpillière ! Tu m'écoutes ?

Je perçois de nouveaux pas. La même voix rauque reprend de plus belle :

— C'est ça, casse-toi ! On a une réunion dans deux minutes. T'as de la veine, mais ce soir, prépare-toi à morfler, p'tite puce.

Encore des rires, alors que mon décor ne daigne changer. Une voix plus brisée continue. Je devine qu'il s'agit d'un autre moment :

— Écoute, Karyo ! Si tu veux conserver ton boulot, il te faut être plus efficace et rapide.

Par la lenteur et la cassure de la voix, je devine un homme âgé. Soit un chef de service, soit un collègue de travail. Il parle avec moins de sévérité, mais cela sonne tout comme.

— Et tu vois, devoir ralentir le pas ne t'accordera rien. On pourrait donner ce job à un ado pour dix centimes, il irait plus vite. Écoute, je sais que tu traverses une mauvaise passe, mais fais preuve de professionnalisme. Quand un de ses gosses de riches s'en prend à toi, fais en sorte de ne pas le contrarier et de te dépêcher, car l'heure tourne. Est-ce que tu peux au moins comprendre cela ?

Répond alors une voix balbutiant avec un soupçon d'harassement et de profond respect :

— Oui, Monsieur Ohtomo. Je vous promets que cela ne se reproduira plus.

—————dépression—————

Le cadre sombre fait place à un couloir où un homme marche le front incliné, le visage grave, les lèvres sèches. Il porte une jaquette d'un jaune terne et possède une coiffure en boule. Il lève de temps à autre la face pour s'orienter. Il tourne jusqu'à atteindre une porte que je devine être celle en face de moi.

La poignée s'abaisse. Un homme pénètre. Il a les traits bourrus, il a le nez cassé et la lèvre marquée d'un trait rouge distinct — Il a été battu. Il se dirige dans ses toilettes en jetant sa jaquette sur son lit encore défait. Il rentre dans la pièce et s'assoit sur son lit rapidement. Il se presse d'ouvrir son tiroir, en retire les seringues ainsi qu'un paquet transparent que je me figure être sa dose quotidienne. Je l'observe profiter des premières secondes du liquide qui le pénètre. Il lève la tête en entrouvrant la bouche, les paupières plissées.

Il s'adonne à un relâchement de son buste. Il plie sous l'extase avant de se plaquer contre le bois de son lit, la tête sur le petit meuble.

Je plonge dans ses souvenirs : j'y vois le mutisme de ses camarades de classe, face aux accusations portées à son encontre. J'aperçois un cartable déchiré et complètement mouillé. Il baisse la tête sans répondre à son professeur alors qu'il lui arrive de jeter un œil suppliant à toutes les âmes susceptibles de dire la vérité.

Ce Que Tes Émotions Leur FontWhere stories live. Discover now