Chap II : La Toile (1/3)

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Crapaud sur le sol. Je lance un regard juste passager vers le sable gris. Je ramène mon esprit dessus à nouveaux pour mieux analyser sur quoi j'ai posé mes pieds.

Du sable d'un gris palpable. Je crois au début avoir affaire à du gravier, mais vu leur forme et leur répartition à même le sol, cela saute aux yeux que ce sable se trouve là depuis longtemps.

— Tu peux en manger, tu sais ?!

Je me retourne, espérant identifier qui parle. Personne ne m'apparaît. Ni devant ni derrière, pas plus dans le ciel. C'est là que je considère ce qui paraît sous mes yeux. Je tombe nez à nez sur un paysage à faire écarquiller n'importe qui. Des plantes à foison, des arbres aux feuilles de couleurs variées : rouges, bleues, jaunes, violets, indigos...

De hautes herbes roses et un point blanc, perceptible au loin. Je me relève, ayant récupéré un semblant d'énergie. J'ose quelques pas assurés en préparant mon arc. Le point n'est finalement pas à ma portée. Je le distingue toujours, mais cela se situe bien loin. Soudain, il bouge. Je le vois disparaître parmi les feuilles. J’abaisse la tête pour contempler les hautes herbes roses. Et je tombe sur un phénomène étrange juste à côté de mes pieds.

Deux ou trois bourgeons ont poussé juste aux extrémités de mes bottes. Je tourne mon regard vers ma gauche et remarque la même chose. Je recule. Je constate alors que les plantes perdent de leur couleur verte naissante et se flétrissent.

— Qu'est-ce que... ? balbutié-je, en inclinant à nouveau ma tête.

Le même phénomène se répète près de mes bottes. Le même dandinement apparaît, le même bourgeon se forme avec une tête blanche.

— N'aie pas peur, ils ne sont pas là pour t'avaler...
— Cette voix... C'est toi... ? murmuré-je, en tournant dans tous les sens mon cou peut me permettre.
— Oui, je suis là, juste devant toi.

Je reviens à mon point de départ en constatant le petit corps de la bête,
flottant dans l'air.

— Et c'est maintenant que tu réapparais, sans blague ? interrogé-je, froide, avec un peu de doute dans le ton.
— Heu... Je suis désolé... Les évolués m'avaient bloqué le passage vers toi. Tu es ma seule partenaire et comme un e-motio n'a pas le droit d'entrer en contact avec les humains...

Sa façon de balbutier et de se confondre en excuse, me donnerait presqu'envie de dormir.

— Alors, pourquoi l'as-tu fait ?

Il devient soudain sérieux. Il cesse même de gesticuler.

— Tu es unique, Alpha...
— Ah ouais ? Et en quoi ?
— Tu n'as pas besoin de me croire, mais ton âme... quand je la vois, elle a l'air d'étinceler de partout.
— Parce que tu peux aussi scruter mon âme, tout à coup ?
— Tous les e-motios spirituels en sont capables. Si je me suis décidé à demander ton aide, c'était pour sauver l'e-motio de la jalousie... maintenant, ce ne doit plus en être un... Mais un jour ou l'autre, une autre jalousie le tiendra en laisse, avec moins d'intensité que ce dernier cas, cependant. La  preuve que je ne me suis pas trompé, les gardiens t'ont permis d'entrer...
— Les gardiens ?
— Oui, les e-motios dévoreurs évolués sont les gardiens des portes, mais aussi les gouverneurs de la Toile après les puissants colossaux.
— En gros, si je n'avais pas rencontré les gardiens, je n'aurais pas pu accéder à la Toile ?
— En gros, oui...
— Comment ça, en gros, oui... tu me caches des choses, vilain compagnon...

Je serre le visage en m'avançant vers lui.

— Désolé, désolé... balbutie-t-il, en fermant énergiquement les paupières. Il nous est interdit de révéler trop d'informations aux gens pénétrant dans la première partie de la Toile. Et il est d’autant plus recommandé de ne pas interagir avec ceux qui ont tout de même eu accès à la deuxième partie.
— Mais toi, bien-sûr, tu t'es décidé à braver les consignes pour te rapprocher, une fois de plus, d'une étrangère !?
— Je n'ai pas peur d'être avec toi... me crie-t-il, en ouvrant ses iris bleus. On croirait vraiment avoir affaire au fantôme d’un bébé.

Je suis scotchée sur l'instant, ne sachant quoi répondre.

— Tu es l'une des nôtres, Alpha... Et je le crois sincèrement...
— Cesse tes affabulations, Mentio... soupiré-je, en baissant les yeux, pour vérifier si les bourgeons ont poussé. Ce n'est cependant pas le cas. Elles ont l'air d'avoir stoppé net leur croissance. Ou est-ce leur véritable limite ?!

À la minute où ces mots m’échappent, nos regards étonnés se croisent. L'animal sourit immédiatement.

— Tu vois ! reprend-t-il, avec un ton rieur qui ne me plait pas. Tu es l'une
des nôtres. Tu me donnes même un nom, maintenant...
— Ah oui ?! Il suffit que quelqu'un vous octroie un nom pour que vous le considériez comme l'un des vôtres ?
— En aucun cas... C'est juste qu'il y a une connexion profonde existant entre toi et notre monde... Comme si... tu étais née ici... dans la Toile.
— Je t'ai déjà dit...
— Alpha ! Tes cheveux !
— Quoi, mes cheveux ?
— Ta mèche noire est devenue rouge.

Je me presse d'amener à ma vue, l'objet cité et d'en arracher un cheveu.

— Je crois que la Toile t'a permis de recouvrer certaines de tes émotions perdues. Et pour les distinguer, elles jouent avec des nuances sur ta tête.

— Comment sais-tu pour mon passé ?
— J'étais là lorsque tu as échangé avec les gardiens. Quand il s'est plongé dans ton esprit, j'ai pu entrapercevoir ton passé.
— Je vois... Ainsi, ils lisent dans les pensées !… Sauf que je ne crois pas que ce soit comme tu le décris.
— Ah... Mais j'ai vraiment foi que...

Subitement, je crois déceler la raison de ma nouvelle couleur.

— J'ai ma p'tite idée là-dessus. À mon entrée dans cette partie de la forêt, la pigmentation est telle qu'elle a eu des répercussions sur cette seule partie de ma touffe.
— Cela paraît encore plus invraisemblable que mes paroles.
— En parlant de ce monde... qu'est-ce que tu peux déjà me donner comme information, question que je m'y adapte promptement.
— La première chose que tu dois savoir, c'est que la Toile est divisée en trois parties : l'entrée, que tes compagnons et toi avez longé en marche ; l'Eden, la deuxième partie contenant le vrai visage de la Toile et enfin le sanctuaire des colossaux où se situe le cœur des e-motios.
— Rapide comme explication... Et comment se déplace-t-on dans l'Eden ?
— Hum... laisse-moi une seconde.

Son visage s’assombrit, les traits durs. Serait-il difficile de me l'expliquer ? Ou doit-il en demander l'autorisation, télépathiquement ? Ou ne le sait-il tout simplement pas ?

— Voilà ! dit-il.

Après cette exclamation soudaine, une image m'apparaît. Une carte se loge dans mon esprit et j'arrive à le visualiser, d'un seul coup. Je m'incline et commence à tracer des cercles sur le sol. C'est le moment de nous préparer à décrire les lieux de la Toile.

Ce Que Tes Émotions Leur FontWhere stories live. Discover now