Chap VII : Le Sourire d'Alpha (2/2)

48 11 63
                                    

Alpha entend, à nouveau, la voix d'Emy qui continue la conversation :

— Dis, Alpha ?! Je dois avouer que depuis qu'on se parle… je me sens beaucoup mieux… Je ne m'étais jamais ouverte à quelqu'un et… je n'aurai jamais pensé que cela se produirait avec une habitante d'un autre univers. L'univers est bien plus vaste que nous nous l'imaginons.

Dis, Alpha ! Tu crois que les relations à distance peuvent durer tout une vie
?

— Cela dépend… répond vaguement la concernée.

Elle ferme le sac, se redresse et le confie à un e-motio, au seuil de la cabane. C'est un e-motio dévoreur, ayant la forme d'une charrue. Memri, de son surnom. Il est souvent possédé par l'acédie. Cela le force à n'avoir même pas la force de réfléchir quant à la nécessité d'une action. Vite, l'e-motio se fatigue. Il lui a été difficile plus d'une fois de se redresser, faute de volonté, ce qui l'a amené à ne plus en être capable aujourd'hui. Mais cela, bien-sûr, c'est dans son esprit.

En sa qualité de seigneur de la Toile, Alpha a décidé de commencer par le guérir de son mal, durant son début de séjour, en ce lieu. Mais avant, il portera sa charge.

— Peux-tu m'aider, mon brave ? demande-t-elle, en s'inclinant quelque peu.
— Oui, puissante maîtresse, s'enquit de répondre le subalterne.

Elle descend tout en s'imaginant les multiples tâches qu'elles pourraient accomplir dans la forêt. Elle a effectivement le projet de provoquer une révolution à travers la Toile. Cependant, c’est un peu comme une sorte de vengeance personnelle. Elle pense en ce sens à Porneia, mais aussi à l’e-motio de la mort. Ce dernier est le contraire de tout ce qui constitue la vie aux yeux de l’aventurière. Elle recherche de surcroît, le moyen de confronter ses ressources afin de repousser cet être odieux à ses yeux.

Odieux ? Elle ne l’aurait jamais pensé autrefois. Elle était si froide et si indifférente qu’elle ne qualifiait jamais rien et n’avait pas de réel point de vue sur quoique ce soit.

Aujourd’hui, elle ressent du dégoût pour certaines choses, mais aussi une profonde attirance pour d’autres. Prenons par exemple, les fleurs de la Toile. C’est la première chose qui lui a traversé l’esprit lorsqu’elle avait commencé à marcher sur les terres de l’Eden, à son retour. Cependant, elle doit l’avouer, elle a toujours été interrompue dans sa perception à cause d’un e-motio. Ah ! Cette pensée la ramène dans son projet. Elle va dépoussiérer tout ce qu’elle pourra. Energie au rendez-vous. Mais avant, continuer avec Emy :

— Si les deux humains s'aiment sincèrement et se promettent fidélité, bien au-delà des désirs charnels, c'est possible.
— Tu le crois vraiment ? Moi, je ne le pense pas…
— Votre époque est juste… pardonne-moi le terme… plus endormie que les précédentes. Remarque, il y a fort longtemps, dans les vastes plaines du désert, un homme avait juré à une femme, qu'importe soit le temps de son voyage, il reviendrait la chercher et l'épouserait…
— Et ?…
— L'homme est revenu dix ans après, riche comme un roi et l'a épousé.
— Hum… ça, ce sont les films avec un happy end dedans. On est dans la réalité et c'est plus la jeune demoiselle, obligée d'attendre son prince charmant afin de pouvoir vivre sa vie… Et puis, imagine que l'homme ne soit pas revenu ? Tiens, prenons cette hypothèse ?
— S'il n'était pas revenu, en effet… la fille aurait été contrainte de se marier à un autre.
— Ah… tu vois ?!
— Mais l'homme en question l'envoyait des lettres inscrites sur du papyrus ou des messages oraux, par la voie de marchands passant près de chez elle. Cela a maintenu son désir de le revoir, faisant fi du temps que cela a pris.
— Dix ans, tu te rends compte ?
— Je te l'ai dit… ton époque est bien trop paresseuse. Vous avez perdu l'habitude d'attendre. Votre impatience est la clé de bien des maux.
— Alors, c'est notre faute… c'est ce que tu insinue ?
— Désolé, mais… faut faire un choix : ou vous êtes et vous assurez de devenir plus fort… ou vous acceptez le fait que vous êtes transportés, telle la poussière au gré du vent. Et en disant cela, je me fourvoie quelque peu.
— Que veux-tu dire ?
— Au fond, toutes les époques ont eu leurs mots de faiblesses et de scandales… la question est de savoir si ce sont les époques, le problème… ou les hommes eux-mêmes ?
— Je vois où tu veux en venir. C'est à nous de décider, c'est ça ? Et en quoi cela peut aider à tenir dans une relation, dis-moi ?
— Je ne sais pas si c'est à Dylan que tu te réfère, mais sache qu'il y a toujours un point vital que l'on oublie souvent…
— Et quel est-il ?
— Le cœur, Emy. Par-là, j'entends bien-sûr les sentiments logés dans notre mémoire. Les états affectifs durables que nous associons à nos humeurs.

Ce sont ces derniers et non pas une simple attirance — même si, j'avoue, cela compte aussi — qui colorent notre système de vie.

— Tu sais… ça fait un moment que je ne te capte plus là…
— Bref, ton ressenti doit être entretenu. S'il y a eu quelque chose de fort, autre que le contact physique, alors quelque part, il reste une place pour une personne. Est-ce que tu t'aimes ? Telle est la question. Et si c'est oui, l'aimes-tu ? Si la réponse est toujours oui, comment fais-tu pour te sentir toujours connectée à cette personne ?
— Et si tu ne t'aimes pas ? C'est simple ! Sens-tu le besoin d'être auprès de cet autre ? Est-ce la partie qui te permet de te sentir en équilibre ? Mais cela, je crois que tout le monde le sait au plus profond de lui… mais n'arrive pas à se poser les bonnes questions.

« Autrefois, on prônait le moyen du compromis… aujourd'hui, c'est la liberté qui s'étend… Peut-on encore supporter l'autre ? Au fond, pourquoi le supporter ? N'est-ce pas une forme de domination ? Le fait de prendre en pitié l'autre et s'oublier soi-même ?

— Et selon toi, quelle serait la question à toujours se poser dans cette situation ?
Alpha stoppe net sa marche. Elle se situe en ce moment, sur les lieux de sa première rencontre avec Nsenga et Selfor. Ce dernier venait de dessiner à l'aide de sa lame, un cercle représentant une étoile coupée en deux par un sabre. Le dessin est gravé sur le tronc d'arbre à sa droite.

— Est-ce que tu es prête à frapper du poing avec cette personne ? Est-ce que t'es prête à gérer ses crises de colère ou sa jalousie et si possible, t'aider des autres pour y arriver ? Est-ce que malgré des jours sans entendre sa voix, tu penseras encore fort à lui ? Emy, il y a une énorme différence entre aimer et essayer d'aimer.

Celui qui profite de ses instants fugaces, en craignant à tout bout de champ de perdre l'être aimé, a un fort besoin de s'y remettre. Mais celui qui aime, vois-tu, tremble à chaque fois qu'elle est près de l'autre. Elle cherche par tous les moyens à coller sa moitié. Elle l'énerve tout comme lui, l'énerve. Tous les deux se connaissent. Ils leur arrivent même de se cacher des choses, mais la vérité finit toujours par apparaître au grand jour… et tu sais quoi ? Ils le surmontent ensemble. Même à coup de bâton.

— Même à coup de bâton, s'exclame la jeune fille, en rigolant.
— C'est un cas extrême, je le sais… mais cela arrive souvent chez nous.
— Ah bon ?

Leur discussion prit une nouvelle route. Elles s'échangeaient ouvertement sur tout ce qui leur tombait sur la main. Ils avaient ce sentiment d'être bien plus forte en ce moment précis. D'être dans leur monde à elles, ne pouvant dissimuler un rire ou cacher une gaffe passée. C'était leur instant privilégié.

Au bout d'un moment, Emy perd d'un coup son sourire. Elle a du mal à prononcer ces mots :

— Alpha ?!… Dylan et moi… avons rompu…

Un silence platonique s'installe.

— Cela fait combien de temps ?
— Il y a à peine cinq heures… il m'a dit que c'était pas moi, mais lui… c'n'est pas qu'il en a trouvé une autre, c'est juste… J'sais plus…
— C'est juste qu'il ne veut pas te donner de faux espoirs, c'est ça ?
— En gros, c'est ça, oui ! Il ne supportera pas que je puisse lui raconter des bobards à l'écran ou sur les messages, alors que je pourrais « possiblement » être entrain de flancher pour un autre.

Silence à nouveau, mais cette fois, il dure un peu plus longtemps. Alpha est debout. La forêt, parsemée de lumière de tous les coins semblent progressivement, prendre vie. Elle, de sa froideur habituelle, rajoute une phrase :

— Tu as envie de pleurer ? lance-t-elle.
— Non, pourquoi ? Ce n'est pas comme si je l'avais envisagé comme l'homme de ma vie.

À nouveau un silence, mais court. Je dois dire que ce sont les moments les plus inoubliables de cette journée, car à ce moment, on peut distinguer une larme tenter de sortie des orbites de la jeune fille.

— Parce que moi, j'ai envie de pleurer…

À l'autre bout de l'univers, elle entend un souffle forcé qui laisse place à des sanglots saccadés.

— Est-ce que t'as un remède contre la douleur, Alpha ?

Celle-ci ne répond pas tout de suite. Elle attend que la jeune fille pleure encore quelques secondes avant de satisfaire sa curiosité :

— Non, Emy… car le meilleur moyen de faire évacuer la douleur… c'est de la laisser s'exprimer…

À cet instant, elle lève les yeux vers le ciel. Elle aperçoit parmi une infinité de ligne lumineuse, celle de son bien aimé.

Elle baisse à la hâte ces prunelles, désignant à quelques mètres d'elle, les quatre e-motios cachés, sous l'ombre d'un grand arbre dont les feuilles vertes s'étendent en long, sur l'autre bout de branche appartenant à un autre. Leurs yeux luisants telles des étoiles dans le ciel, donne un aperçu de la vie qu'elle mènera dans la Toile. Ces yeux apparaîtront à tous comme les leur ?

Alpha marche dans leur direction. Elle lève deux ou trois fois ses pupilles, en direction de la ligne bleue d'Adlann. Puis, elle s'arrête. Elle se surprend subitement à sourire. Le remarquant, elle accentue ce trait, offrant par la
même occasion son premier et plus beau sourire.

— Eh, j'ai une question pour toi…
— Quoi ? répond la jeune humaine.
— Le sais-tu ? Ce que tes émotions leur font ?

 
— Le sais-tu ? Ce que tes émotions leur font ?

Oops! This image does not follow our content guidelines. To continue publishing, please remove it or upload a different image.
Ce Que Tes Émotions Leur FontWhere stories live. Discover now