Chap I : Ce Qui Nous Dévore Depuis Le Commencement (2/3)

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— Ils ont découvert dans l'un des corps, un bout de métal... niché dans la cuisse, alors que sa tête s'en allait...
— Cela servira de trophée, n'est-ce pas ?

Il sourit à nouveau.

— Tu es vraiment hermétique à la discussion...

— Je vous donne mille et une raison de ne pas vous attarder sur le sujet.
— Cela va sans dire, aventurière... Sache que l’existence humaine n'est que confrontation, rivalité, maintes édifications de sa personne… la tunique de l'orgueil dans son plus beau doré… Mais sais-tu ce qui amplifie ce désir ? C’est l’autre… tant que l’autre existe, nous nous battrons pour être meilleur que lui. Tant que l’autre existe, nous survivons.

Je ne cesse de le surveiller et de trouver une ouverture à ses desseins.

— Ces cinq personnages avaient chacun une vision d'eux-mêmes, bien étriquée. Oyphul désirant obtenir une vie simple aux côtés d'une femme qui l'aimerait et le chérirai... alors qu'il se donnait tout un mal pour être désagréable envers elles... Nsenga, un prêtre bien embrouillé... un rêveur tenace. Il cherchait à rencontrer l'e-motio de l'amour... Tout cela pour se trouver lui-même... hum... sans savoir que la réponse était déjà détenue entre ses mains... Eskiell, ce faible... toujours embourbé dans de sales affaires... mais est-ce vraiment de sa faute ? Faut-il jeter le blâme sur ses actes ? Il s'est cependant piégé, car la nourriture est le propre des êtres... Selfor était par contre le plus à plaindre. Il a souffert durant toute sa vie, n'a jamais été aimé des siens... ne s'est pas retrouvé une seule fois en confiance devant un autre humain. Il a fini ses jours dans une sombre forêt, entourée des cadavres de ses nouveaux, néanmoins derniers frères de la fin. Quant à Bordos... hum... comment dire... ?

Il stoppe net son tour et se décale pour se pencher face à moi, me fixant de ses iris verts.

— Un homme d'une extrême fourberie...

Je conserve mon calme, le regard plongé dans le sien.

— Nous avons tous nos défauts, Hochmut...

Un nouveau flash me traverse le crâne : Une femme et un homme s'empoignant... de jeunes adultes. Une cigarette à la main, un tatouage proéminent... Une gifle sur la partenaire, des insultes proférées par celle-ci... Une demeure en feu, un cri strident, un cri de détresse, un cri de femme...

Je reprends mon souffle pendant que la bête n'a pas bougé de son point, me regardant toujours intensément.
— Je suis un e-motio... Mais...

Il place un intervalle avant de continuer.

— Je sais que l'homme ne peut pas se débarrasser de moi... Manipuler, dominer, exaspérer, voler, tromper, chercher, braver et... tuer... Ce sont tous des actes d'orgueil, n'est-il pas ?

Je dois éviter de trop l'asticoter, celui-là. Cependant, si je vais sans cesse dans son sens, il comprendra que je ne lui donne pas mon réel point de vue, il se lassera vite et s'en prendra à moi. Je n'ai pas à trop réfléchir, les deux autres ont malheureusement déjà récupéré de ma prouesse de tout à l'heure. Je l'ai laissé suffisamment de temps pour m'étudier.

— Ne dit-on pas aussi que l'orgueil se promenant, rencontre le mépris ?
— Hum... Il en est ainsi... oui, c'est le propre du pouvoir. Il y en a toujours
qui sont blessés. Comment ne le serait-il pas ?
— Vous savez pertinemment que la cruauté est le remède de l'orgueil blessé.
— Oui, mais un premier orgueil en appelle un autre et ainsi de suite jusqu'à me revenir encore. Ah, les humains ! Espèce faible et perturbée ! Vous est-il déjà arrivé de vous poser la question du pourquoi de votre mauvaise interaction avec tout ce qui vous entoure ? Tout un tout concentrique offrant au final la mort de la raison...
— Se connaître soi-même pousse à l'humilité… Mais nous savons tous les deux que l'orgueil ne souffre d'aucun rival très longtemps…
— Hum... encore heureux que l'âme ne meurt pas...
— Ne repoussez l'âme humaine, elle pourrait vous jouer un sale tour.
— Et toi ? Que penses-tu de toi ?

Je prends quelques secondes avant de répondre :

— Forte extérieurement,... Mais désireuse de retrouver son identité... N'étant pas toujours sûre de ses décisions, mais pas une seule fois n'ayant fait machine arrière.

Je m'arrête et continue à planter mes pupilles sur la bête.

— Et c'est tout ? me rétorque-t-il, tandis que je me cambre dans mon silence. Décidément, tu n'es pas très bavarde... C'est en effet la marque des gens possédant un réel pouvoir, car...

Son sourire s'efface me présentant ainsi, un e-motio prêt à en découdre.

— ...le pouvoir est la seule chose qui compte. C'est cette dernière qui a donné pleine puissance aux chiens de ta race, qui ont déferlé sur nos terres.

Je sens que la tension grimpe d'un cran. Soudain, la bête sourit à nouveau.

— Mais la guerre des lucioles rouges n'est plus... pourquoi s'en préoccuper ?
— Quelle que soit la forme que prend une guerre, et quelles qu'en soient les motivations... une guerre reste une guerre. La question est de savoir,...

L'e-motio se penche plus près de mon nez, captivé par ma réponse.

— ...qui s'est levé ce jour-là, pour refuser de verser le sang ?
— Et quand bien même il l'aurait fait, crois-tu que ses semblables le comprendront ? Crois-tu qu'ils le laisseront parler ou inciter ses frères à baisser les armes et à faire volte-face vers la lumière ?
— La question n'est pas de savoir si... Mais de le faire... Et de placer une marque, même dérisoire... elle servira pour les générations avenirs.
— N'est-ce pas une autre forme d'orgueil ?
— Je vous demande alors de m'éclairer sur un point...
— Lequel, aventurière ?
— Est-il logique pour un être de naître, de grandir, de vieillir et de mourir... sans ne jamais laisser une trace de son passage

— C'est le propre de l'orgueil, faible créature. Il est sage d'abandonner sa raison afin d'œuvrer au bon engrenage de l’univers et sans ne jamais se plaindre. Les plantes et les bêtes le font automatiquement.
— Vous avez sûrement raison, Hochmut... Mais moi, je veux laisser une trace, un fin blé, un écriteau portant mon nom... Un portrait de moi ayant vécu... Un symbole qu'il faut vivre pour léguer quelque chose.
— Et c'est quoi ce quelque chose ?
— Un mot... Un pas... pour l'évolution de l'espèce...

Un nouveau silence. Le dévoreur se redresse tout en mâchouillant mes derniers termes. Il est à présent incliné tel un angle obtus mal tracé et reste muet quelques minutes, qui me paraissent une éternité.

L'orgueil

— C'est un réel plaisir de discuter avec toi, Alpha... Tu mérites d'être ici. J'avais raison sur ton compte... Tu n'es vraiment pas comme les autres. Intention m’était venue de te décapiter, au début. Je me repens d'une telle pensée.

Je ne me détache nullement de sa personne, le corps raide et le visage de marbre. Je ne m'attends pas à ce que ceci me serve entièrement pour être mise en confiance. L'animal bouge des lèvres. Je comprends qu'il cherche à poursuivre la conversation.

— Je dois dire... que c'est aussi la première fois que je tombe sur une terrienne. Habituellement, on les observe de loin.

Difficile de dissimuler ma surprise. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me lance une telle carte. Son regard froid et perçant n'arrange rien. Je ne me sens cependant pas stressée.

— Nous savons qui tu es...

Un vent souffle apportant avec lui, le froid de l'Ouest. Je sens la fraîcheur du temps me caresser les joues et les mains.

— Alpha Esta Deviris, jeune pupille d'Éris... Tu es la fierté de ta tutrice, Denailis... mais même elle, n'arrive pas à te faire recouvrir ton passé. Ils savent tous d'où tu viens et ils t'ont acceptée...

Il a déjà repris sa marche autour de moi.

— Alors nous aussi, nous t'acceptons.

Cette annonce double mon appréhension face à la situation.

— Tu étais sur le Titanic, n'est-ce pas ? Pauvre petite chose... Il a coulé... Beaucoup en sont morts. Et pourtant, le Tout puissant a voulu t'accorder une seconde chance... à toi... sur tous ces êtres, bien plus valeureux que ta personne... Mais, c'était sans compter sur le fait... que tu deviendrais toi-même,… une valeur précieuse.
— Vous n'avez qu'à ne pas m'importuner lors de ma quête... déclaré-je, en levant le ton.

L'animal stoppe net derrière moi. Un calme des plus alarmants nous surplombe.

— Je sais ce que tu recherches, petite étoile... Mais cette dernière est peut-être impossible, même pour toi.
— Alors, je ferai en sorte de l'obtenir, réponds-je, avec assurance.
— Tes émotions perdues, n'est-ce pas ? Le prix à payer pour rester en vie.Tu as pu récupérer une part de tes souvenirs et une dizaine de tes humeurs... Alors pourquoi ne pas s'en contenter ? Pourquoi essayer de vivre une vie trépidante au lieu de celle pleine de calme auprès de ceux qui t'aiment aujourd'hui ?
— Je veux récupérer mon identité, e-motio... Je le veux plus que ma propre vie.
— Que d'orgueil futile... ne sais-tu pas que ton âme à cet instant, vaut plus
que ce que tu tentes de retrouver ?
— Si mon seigneur s'en trouvait amputé d'une jambe, que cette dernière était emportée loin de lui... qu'on lui disait qu'il y a une possibilité de la récupérer... Et de la remettre à sa place ?
— Pourquoi ne rentres-tu pas chez toi ?

Je me tais. Je crois avoir dit ce qu'il me fallait révéler.

— L'e-motio que tu cherches n'apparaît point aux êtres faits de chair. Si tu tiens à te retrouver, suis l'amour qui te lie aux tiens. Laisse-toi porter par le vent et lève les yeux.

C'est certainement un indice. Je ne dois pas l'oublier.

— Que dirais-tu de devenir l'une des nôtres ? lâche le dévoreur.


Ce Que Tes Émotions Leur FontWhere stories live. Discover now