Chap VI : La Pièce Qui Emporte Le Tout (3/3)

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Nous reprenons la marche avec un silence macabre. Il m'arrive de tourner de la tête pour apercevoir deux ou trois petites créatures apparaissant l'espace d'un instant.

Nous nous engouffrons dans la sombre forêt d'où la lumière s'en trouve filtrée et où le froid semble s'y être investit. De la mousse sur tous les troncs d'arbres, des champignons dans un coin.

— Ouh... Faites attention... avertit Nsenga la jambe dans de la boue.

« Il y a de la vase absorbante un peu partout... soyez vigilant...»

Le prêtre est en première position. Il se met à allumer une torche.

— La torche va éloigner certains indésirables que vous n'auriez sans doute jamais voulu connaître l'existence, dit-il, en se retournant machinalement.

Un vent souffle, un murmure surplombe l'atmosphère.

— Ne les effrayez pas... prévient le guide.

« Ce sont les spectres des décédés. Ils errent à travers la Toile cherchant une âme pouvant les nourrir. Ils sont silencieux dans certaines zones de la forêt. »

Il a beau le préciser, je ne vois encore rien. Par contre, une sorte d'écho transmettant un cri presque comparable à celui d'une baleine dans l'eau. Cela ne tarde guère, car voici qu'une tête transparente, ma foi, se dessine dans l'air ambiant. Le regard d'un homme rongé par la faim, presque squelettique, ses iris d'un rond blanc sont noircis au bord. Il porte une sorte de cap le confondant à un faucheur d'âmes.

Sa bouche est couverte de pli. Il me fixe soudain et reste figé. Ma curiosité m'empêche de me détourner d'une chose nouvelle. Il ouvre la bouche et tente, à première vue, de pousser un cri. Je n'arrive pas à me décoller.

— Alpha !

Je reviens subitement à moi et me retourne vers Nsenga qui me regarde avec fermeté, mais aussi avec une peur invérifiée.

— Reste concentré... Nous ne devons pas nous laisser distraire, dit-il.

La marche continue sans aucun problème. Nous avançons jusqu'à atteindre un tas de feuilles mortes rougies. La vue de ces décombres nous pousse à la réflexion : « Est-il possible qu'il y ait un piège ? »

Je ne suis pas la seule car je rencontre le regard d'Eskiell qui se met déjà à contourner l'amas. Nous cheminons par la droite tout en jetant un coup d'œil sur le tas.

Curieusement, le milieu du tas est surplombé de rayon solaire. Notre détour est jalonné de grosses racines nous obligeant à sauter par intermittence et à nous hisser, puis atterrir sur une liane.

— Les gars...

C'est la voix d'Eskiell qui se retrouve en tête de file et pointant en ce moment vers la gauche, direction le milieu de l'entassement.

— Là, ça remue...

Nous nous tournons vers le point indexé. Une jeune pousse commence à se dégager, monter, puis s'étendre. Les branches munies de bourgeons se flétrissent subitement. La chose commence à former un minuscule, mais perceptible visage encore collé au corps.

L'endroit est illuminé par le milieu, plaçant le terrain sous la domination du gris. Soudain, le gris fait place à une teinte rougeâtre. Tout l'espace prend la teinte du rouge.

La créature se dessine en formant un triangle inversé désignant un buste, dont le cou s'en trouve inexistant. La bête est noire de jais et s'élève de plus en plus.

Ce Que Tes Émotions Leur FontOù les histoires vivent. Découvrez maintenant