Chap II : L'E-motio De l'Espoir (2/3)

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Ils finissent par passer la porte, découvrant ainsi un ciel aux myriades d’étoiles. La colonne lumineuse aux nuances infinies, se dressant sous les prunelles d’Alpha, suffit à combler les espérances d'un petit être enclin à la découverte.

La jeune étrangère est allée jusqu'au point de serrer son compagnon, craignant de perdre pied face aux nouveaux épisodes, constituant la suite de sa quête. Le paysage terrestre, par contre, reste bien banal. Elle continue sa marche sur une étendue dominée par de hautes herbes vertes, ballottées par le vent. Au de-là, on distingue la brousse des e-motios. La plus mystique de toutes les parties de la forêt, révélée à l'aventurière. Ce qui la frappe surtout, c’est le décor céleste, dominant de ses ténèbres
18781 parsemées d’astres. Et de particule céleste, il y en a à foison. C’est renversant. On se croirait dans un observatoire ou dans un immense palais avec un plafond incrusté de pierres précieuses.

Elle ne cesse d’avancer, le flot de ses pensées, parsemé de futiles questions. Elle distingue rapidement un groupe d'e-motios agglutiné face inclinée tenant concile, subjugué par un objet. Leurs vaisseaux sanguins illuminant leur peau dans cette nuit prolongée.

En se rapprochant, elle s’aperçoit qu’il y a erreur. Un impressionnant e-motio croît peu à peu, jusqu'à atteindre la taille d’un oranger adulte. Alpha suit le déroulement de la scène sans commentaire.

Ils finissent par contourner et dépasser cette créature troublante pour atteindre un vaste territoire, peuplé par des lucioles bleues.

— Un e-motio classique déviant, se répète-t-elle, tout le long du voyage.

Illusion d’optique que ces multiples têtes surplombant sa carapace. Il s’agit de couleurs variées donnant l'aspect — à cette défense — d’une verdure où se tient une dizaine d’e-motios, concentrée sur un point à leurs pieds. Personne ne se douterait que cette bande soit en vérité, une dissimulation dénaturée de l'une des créatures les plus exceptionnelles de Lodart. Le doyen des e-motios évolués. L'animal est désormais derrière eux, maintenu par ses quatre pattes de tortue géante terrestre des Galápagos. Elle avait même été tentée de le toucher.

Alpha stoppe net sa marche et se retourne en direction du classique. Elle remarque que l'e-motio se déplace rapidement pour son flanc droit, alerté par une autre bête.

L'e-motio ne lui porte aucune attention. Il lui laisse toutefois un petit trésor au bord de la large motte de terre noire dénudée, tel un cratère de la valeur de deux éléphants attachés par la queue. Elle rebrousse chemin, se saisit du petit cadeau tombé de la carapace du doyen et découvre qu'elle serre un morceau de cristal bleu azur de la taille d’un poing.

Alors qu'elle le contemple, une ombre au loin attire son attention. Un épais brouillard se dessine dans les hauteurs, où l'on aperçoit des montagnes blanches. C'est un lieu impressionnant, mais si lointain dans ce paysage baigné par le firmament.

Soudain, l'ombre se précise. C'est une silhouette titanesque. Une lumière près d'elle permet de distinguer une corne de rhinocéros, au-devant de son visage. Elle constate aussi une mâchoire pourvue de canines serrées.

Cela dure le temps d’un saut de perche. Sa tête se démarque enfin. De sa position, elle observe un géant grisé, avec des paupières repliées tels des traits, un menton en pointe comme une épée. Pas d'oreille, mais un petit orifice. J'identifie deux trous lui servant de narines.

Alpha reste là, subjuguée par cette vision majestueuse. C'est un tvarak préhistorique. L'un des plus vieux au monde. L'animal la cible du regard.
Elle ne s'en dérobe point et le soutien du sien.

Combien de temps s'écoule, pendant ce bref échange ? C'est un moment qui grave en elle, une certaine attirance pour cet inconnu. La face striée du tvarak empêche de différencier ses mimiques faciales.

Brusquement, l'animal nous voile ses iris verts et commence à se déplacer d'un pas lent mais d’un grondement de tonnerre. Elle assiste à son départ, sans mot dire, le visage platonique. Tandis qu'il disparaît, elle incline sa tête et se concentre sur ses propres pas. Elle n'oubliera pas cet instant durant lequel, une suite indéchiffrable de mots a été échangée.

Alpha continue sa marche, s'introduisant bientôt dans la mythique brousse. Cette dernière porte le nom non moins célèbre de Karunã, la terre de compassion. Elle qui marche selon un principe propre à sa philosophie : celle de la rationalisation des affects, se sent toute chose en accédant au sanctuaire des colossaux.

Cela ne tarde guère avant qu'ils ne rencontrent un autre e-motio, assez maigre faut-il remarquer. Ils se tiennent si près de l'inconnu, qu'il réagit sur l'instant et les dévisage. Il recule instantanément, le visage cerné d’effroi,

les yeux posés sur Alpha. Il se presse de se dissimuler derrière un tronc d'arbre, à six pas.

Il suffit d'un coup d'œil à Alpha, pour comprendre qu'il s'agit d'un e-motio classique, survivant de la dernière bataille. La peur se lit sur son visage rongé par les colonnes de feu, parcourant ce qui fut jadis, son chez lui. Elle se force tout de même à placer le pas pour générer un terrain de confiance pour ce nouveau personnage.

L'animal tremble à son approche, plus terrorisé qu'à sa première réaction. Il a les traits d’un octogénaire avec deux grandes oreilles pointues. Il a deux fois moins de présence, remarque la brune. Son corps arrondi contraste avec ses joues bouffies et cerclées par une cicatrice noire, près du menton.

— N'approche pas, s'écrie l'e-motio. Tes semblables ont marché sur nos terres... non contents de leurs souillures, ils ont brûlé. Par la manipulation, ils ont retourné nos frères contre nous... Deux fois plus de douleurs, survivre, nous avons tenté... nombre d'entre nous sont tombés... malheureux, nous étions... brisés, nous sommes... suppliant, nous avons osé... jusqu'à atteindre le puits de nos douleurs et force est de constater que vous marchez encore sur nos terres...

Sous les gémissements et les larmes du classique, Alpha s'accroupit en signe de soumission. Elle présente ses mains sans arme et affiche un visage neutre, les yeux fixes.

L'e-motio se tait. Il observe la jeune fille et jauge la menace à travers ses iris se dilatant. Il lève ses deux paumes grises, présentant ainsi des mains deux fois plus longues que ceux d'un humain et des doigts plus fins et longs, tels des stylos. Il touche les joues de l'aventurière. Les secondes suivant cet acte, l'e-motio écarquille ses yeux d'un noir profond.

— Précieuse étoile... articule-t-il, tu es enfin venue.

Sur ce, il pointe sa main vers un coin de la forêt où des sortes de fils fins se suivent le long, tel un rideau. On peut apercevoir des faisceaux lumineux dépasser le voile. Intriguée, la guerrière traverse ce rideau végétal réservé aux seuls e-motios.

Elle se retrouve devant une multitude de couleurs, envahissant le sol et offrant vivacité à ce parterre. Les couleurs se précisent même sur toutes les parois du coin voilé. À chaque pas faisant craquer le sol, elle assiste à l'apparition de minuscules bêtes surgissant du sol. Leur corps produit une lumière scintillante qui réchauffe l'endroit. Une odeur de fruit exotique, se mêle à l'humidité ambiante. Tout ceci rend ce lieu attrayant et désirable. Soudain, elle tombe sur une silhouette ressemblant à une femme vêtue de pétale, d'un rouge captivant, enchevêtrée de bleue sur le collier à la cime de ses cheveux roux.

— Serait-ce ?...

À la minute même, la créature se redresse. Ses yeux dorés fixent l'aventurière, de façon singulière. Sans crier gare, elle commence à psalmodier, d'un ton qui se veut charmant ; sa voix offrant le souffle du changement. Sous l'influence de la musique, Alpha écoute, statique :

Cœur d'homme ;
Déchiré par la tempête ;
Posé là, sur le sable fin de nos tourments ;
L'homme patiente ;
L'homme tremble ;
L'homme espère ;

Qu'est-il ?
Qu'a-t-il vécu ?
Ô Qu'il est malheureux ;

Mais il sait que son étoile viendra ;
Celle qui le guérira ;
Le personnage de ses visions ?
Un signe, il en donne ;

À travers elle, il voit une famille ;
Des amis ne seraient-ils de trop ;
Il sait qu'elle lui portera des ailes ;

Perdu, il sera ;
Oui, dans les bras tendus de l'amour ;

En écoutant cette mélodie fulminant d'un parfum propre au désir, Alpha reste interdite. Elle conserve cet aspect indifférent de sa personnalité. L'e-motio arrive à transporter ses spectateurs et tout ce qui l'entoure dans une joie difficilement répréhensible.

Impossible de renflouer ce haut le cœur qui serre sa poitrine, la rendant apte à se connecter avec tout ce qui se dessine devant elle. Oui, c'est un instant retentissant, face à une des plus belles créatures qu'il lui ait été donné d’admirer. Les plantes elles-mêmes, clament cette sensation. Elles brillent au son de sa voix, intensifient leur lumière jusqu'à devenir lanterne. Les e-motios classiques autour d'elle font de même. Ils brillent si fort qu'une suite d'étoiles rouges semble joncher le sol parsemé de fleur, dont Alpha reconnaît une tulipe en quelques endroits ainsi que des roses aux pieds de l'aventurière.

Apparaît alors son visage dans toute sa splendeur. Ses traits offrent un spectacle des plus aguicheurs. Elle est belle comme une rose, pense Alpha dans la seconde. Oui, belle, attirante, frappante, parfaite. Les paupières de l'e-motio sont closes. Elle ressent, de ce fait, tous les bienfaits de sa propre musique et reste dans une transe presqu'enviable. On se veut chancelant, on respecte de surcroît la cantatrice. L'envie nous vient de la caresser, mais aucun d'entre nous ne sait de quoi il en retourne.

Soudain, une vision vient assaillir l'esprit d’Alpha : un enfant aimé, dansant dans les mains de ses parents ; le doux piaillement des oiseaux voltigeant côte à côte dans le ciel ; deux amants les mains l'une serrant l'autre, affichent un sourire radieux en parfaite harmonie avec leurs pupilles plongées l'un dans l'autre ; la paix d'un homme avec ses propres démons afin de rejoindre des frères perdus. Tout cela, Alpha le perçoit et tente de maîtriser ce sentiment qui afflue en elle, seconde après seconde.

Sans crier gare, le chant s’interrompt. L'e-motio pivote du côté de la guerrière. Elle l'observe une minute sa face. À un moment donné, l’aventurière croit reconnaître son regard froid et évasif en l’autre. L'e-motio se lève, pivote sa tête vers sa droite, ses lèvres rouges scellées.

Ce silence est une aubaine pour Alpha. Elle se presse immédiatement de poser la question qui brûle sa gorge depuis si longtemps. La brune place un autre pas pour se rapprocher avant de se mettre à se prononcer en ces termes :

— Grand e-motio, je vous en prie. Je ne tiens pas à vous effrayer. Vous êtes la seule à qui je peux quémander de l'aide...

En disant cela, elle espérait attirer le regard du colossal, mais cela ne semble pas fonctionner. Le puissant reste la face braquée vers sa droite dans un calme sidérant. On pourrait confondre cela avec de l'orgueil, mais un voyageur aurait compris, s'il avait lu les textes écrits par l'un des explorateurs ayant traversé la Toile et en étant revenu, que la reine rouge est extrêmement sensible aux étrangers, s'en méfiant comme l'ivraie. Elle est la gardienne des terres interdites. Le sanctuaire réservé aux e-motios cherchant la paix et le territoire personnel des colossaux.

— Je m'appelle Alpha, je viens de très loin, de bien au-delà de vos terres. J'ai traversé toute la Toile dans le but de vous rencontrer... Je cherche un bout de poussière de la flamme d'Atlanta... Je sais que l'e-motio de l'espoir n'est qu'une légende et qu'en vérité, il existe un endroit secret où vous conservez la pierre contenant de la flamme. Je cherche à retrouver mes émotions... je viens de loin. Je n'ai rien à vous offrir... demandez ce que vous voulez en échange...

L'e-motio ne réagit pas plus à ses suppliques. Elle reste de marbre pendant près de cinq minutes. Sa langue se délie au moment où Alpha place un second pas et qu'un « je » s'échappe des lèvres de la suppliante.

Brusquement, la reine rouge se remet à chanter, coupant la petite sur son élan :

Inconscient, tu as caché tes ailes aux hommes ;
Ô gardien du savoir ;
De tout, ils ont pour percevoir ;
S'ils avaient une vision de leur avenir en toi ;

Ils ont crié en ton sein ;
Ils t'ont cherché, mais t'ont confondu ;
Ô e-motio, que dis-tu ?
Oui, malheureux, ils le sont encore ;

Longue est la marche ;
Flétris, sont les roses de paix sur son chemin ;
Précieux en oublie la vertu ;
Tout se confond ;

Les âmes s'adonnent à un spectacle ;
Le scénario déjà sur table ;

Ô lumière, le moment est venu ;
Ô précieux, ne t'en dérobe pas ;

A la lumière du colossal, je m’éveille ;

Inconscient, tu as caché tes ailes aux hommes ; 
Ô gardien du savoir ; 
De tout, ils ont pour percevoir ; 
S'ils avaient une vision de leur avenir en toi ;

Ils ont crié en ton sein ; 
Ils t'ont cherché, mais t'ont confondu ; 
Ô e-motio, que dis-t...

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Ce Que Tes Émotions Leur FontOù les histoires vivent. Découvrez maintenant