Note 1 : Uky

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[Cet épisode est un hors série. Indépendant des autres épisodes de "Le Pêcheur et le Meunier", il peut être lu séparément, sans connaître les chapitres précédents. La lecture n'est pas nécessaire pour comprendre les chapitres suivants.]


Note 1 : Uky

L'eau montait. Son ascension avait débuté dix ans avant le moment présent, pendant un soir d'été de l'an 1185. En quelques heures, le niveau des océans avait haussé de cinq toises, ce qui, à l'époque, avait été vécu comme une catastrophe sans précédent. Par la suite, cette dernière devint presque anecdotique, si bien que les citadins des villes portuaires, initialement plaints, finirent par être enviés pour les bateaux qu'ils avaient eu à disposition au premier jour. On les accusait de bonne fortune, une condamnation grave pendant ces temps sombres, et ils s'en défendaient souvent de deux manières. La première étant qu'ils auraient préféré pouvoir appréhender le phénomène de loin, plutôt que d'être surpris par l'urgence de la marée. La deuxième étant qu'accéder aux bateaux, ce jour-là, n'avait pas été aussi aisé qu'on pourrait le croire. Mon travail d'aujourd'hui permettra d'illustrer cette dernière opinion.

Ceux qui m'écoutent, s'ils existent, savent que je travaille en ce moment à l'étude d'un groupe de huit camarades, du nom de l'équipage d'Aben. L'une de ses membres, Uky, a dernièrement attiré mon attention, et puisque j'avais obtenu des résultats que je pensais intéressants, j'ai cru bon d'écrire sur le sujet. Je ne vais pas prendre le temps de vérifier davantage les informations que j'ai glané ici, ni de les rédiger au propre. J'espère seulement pouvoir intéresser certains de mes auditeurs. Cela va sans dire que le travail sera plus brouillon que ce à quoi je les ai habitués ces derniers jours.

Uky portait une alliance au doigt. Un homme, du nom d'Huril, s'en étonna, puisqu'il supposait Uky veuve, et qu'il s'était lui-même séparé de son alliance à la mort de sa femme.

- Tiens, tu as souhaité conserver ton alliance, toi ? avait-il dit.

Et la réponse qu'Uky donna à cette question éveilla ma curiosité. Voici :

- ... Oui, en effet. Je n'ai pas envie de m'en séparer.

« Je n'ai pas envie de m'en séparer ». Selon ses mots, le manque d'envie, et non l'évidence, guidait son choix. Or, justifier d'une si faible conviction dans ce cas de figure, pour une femme fidèle et religieuse comme Uky, ne semblait pas anodin. Cela m'occupa, et, souhaitant suivre cette intuition, je me mis à creuser plus avant dans la vie de la quarantenaire.

Elle n'était pas loquace. Difficile d'y toucher une croyance sans une incertitude conséquente sur les artefacts. J'ai donc d'abord voyagé à la recherche d'indices physiques sur un éventuel décès du mari. Cependant, à mesure que j'explorais les lieux du point de vue d'Uky, mon incapacité à résoudre une question si simple me paraissait de plus en plus suspecte. Certes, l'étude présentait des difficultés intrinsèques. Par exemple, dater les lieux que je survolais se révélait d'une complexité inattendue ; parce qu'Uky et son compagnon Perek, marchands maritimes, avaient employé le même transport avant ou après le début de la montée des eaux. Ainsi, les effluves océanes, le fouet des embruns, les grincements lourds de la coque ou la vue des vagues ne m'aidaient en rien à faire le tri, et je devais souvent remuer la tête, ou les lèvres, pour connaître mon emplacement. Cela dit, ces contretemps n'avaient rien d'insurmontables. J'ai fini par observer la présence de Perek, le mari, en 1191 puis son absence la même année, quatre ans avant le moment présent. Lui et Uky faisaient partie de la même troupe en début d'année, puis, quelques mois plus tard, Uky appartenait à l'équipage d'Aben, sans son mari, ni aucun camarade de l'équipage qu'elle avait fréquenté précédemment.

Le Pêcheur et le MeunierWhere stories live. Discover now