Note 3 : Téa et Linée - Partie 1

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[Cet épisode en trois parties est un hors série, indépendant des autres épisodes de "Le Pêcheur et le Meunier". L'épisode peut-être lu séparément des autres, et la lecture n'est pas nécessaire pour comprendre les chapitres suivants. Cependant, des spoilers sont présents en fin d'épisode, alors n'hésitez pas à lire les chapitres précédents si vous voulez les éviter.]


Note 3 : Téa et Linée

Partie 1 : L'arrivée et la séparation


Le lien qui unit les personnages de cette histoire n'était pas facile à saisir. Leurs vies, pourtant enchevêtrées, semblent éloignées les unes des autres au point qu'il parait aberrant de les mettre en commun.

Peut-être l'auditeur sera-t-il en mesure de percevoir les intentions de Linée. Cette jeune femme mutique qui avait affiché le souhait de rejoindre l'équipage d'Aben sans se justifier. Elle qui avait observé Téa, la seconde du capitaine, pendant des semaines sans lui parler, le visage fermé.

Moi-même, j'ai initialement cru que son projet avait été de porter un jugement sur elle, puis, éventuellement, de lui nuire. A présent, mon impression est toute différente. Je m'explique.


***


C'était un jour du mois d'avril 1195. Une jeune trentenaire brune, au corps svelte, marchait d'un pas soutenu. Elle portait un bagage composé d'un arc et d'un sac qui tressautaient sur son épaule. Le rivage caillouteux où ses bottes s'enfonçaient voyait étrangement se mélanger l'herbe et l'eau de mer. Elle avançait en direction d'un campement animé, sur le départ.

Un voilier plutôt mince était amarré près du bord, et quelques membres de l'équipage s'affairaient à le charger avec des caisses, des tonneaux et du cordage. D'autres groupes, épars, discutaient. Il y avait des tentes, des feux, rassemblant une quarantaine de personnes sur la dune qui séparait le littoral de l'intérieur des terres. Un deuxième bateau, bien plus imposant, demeurait immobile à l'arrière. Peut-être que celui-ci ne partirait pas. Le ciel était dégagé. Un air frais soufflait depuis le large, ridait la mer dont les friselis chatoyaient avec les rayons matinaux. L'ambiance du groupe avait quelque chose d'amical, de léger, qui s'alourdissait seulement d'une mélancolie presque imperceptible.

Sans grande raison, la voyageuse fit route vers les travailleurs qui chargeaient le petit bateau. La première personne qui lui apparut était une jeune femme blonde, avenante, aux joues rouges sous l'effort, essoufflée, qui s'appuyait sur une caisse des deux mains. Elle avait la tête tournée vers le bateau, ou plutôt vers la barque qui en venait, et l'orienta vivement vers l'arrivante lorsque celle-ci l'aborda :

- Excusez-moi, vous êtes de l'équipage d'Aben ?
- Pardon ? Euh, oui, c'est nous ! Excusez-moi, fit l'interrogée en riant. Vous nous cherchiez ?
- ... Oui.

La réponse laconique de la brune, bien qu'accompagnée d'un mouvement de tête, était tombée avec une certaine gravité, sans doute involontaire, mais suffisante pour que le sourire de la blonde s'affaissât. L'arrivante posa son sac sur le sol. Elle regarda les tentes, puis le bateau, avant de ramener son attention sur son interlocutrice :

- J'aurais souhaité rejoindre votre équipage.

Hébétée, la blonde cligna des paupières. Elle ouvrit la bouche, la referma et la rouvrit.

- Mais, qui êtes-vous ? demanda-t-elle. D'où venez-vous ? On ne se connait pas, si ?
- Non, non. Je viens d'une île voisine de l'archipel. J'ai entendu parler de vous. Je me demandais si vous aviez une place pour m'accueillir. C'est tout.
- Ah, d'accord ! reprit la femme, surprise. Eh bien, moi c'est Miel, ravie.
- De même, moi c'est Linée.

Le Pêcheur et le MeunierWhere stories live. Discover now