Episode 4 - Chapitre 14 : Linée ; Réveil nocturne

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Du point de vue de Linée.

Lorsqu'elle revint à la conscience, avant même d'ouvrir les paupières, Linée sut qu'elle n'avait plus de mains. L'angoisse s'était immiscée jusque dans des cauchemars qui avaient imbibé son esprit, juste avant l'éveil. Une fois la vue retrouvée, elle la porta d'abord sur la toile de tente, éclairée à la torche, avant de la déposer sur ses moignons ligaturés. Le constat fut étrangement soulageant, puisqu'il mit fin au doute.

Ce ne fut qu'après cette lourde confirmation que la femme remarqua ses vêtements. Elle n'était plus nue. A côté d'elle se tenait Bao qui lui demanda immédiatement si elle pouvait marcher. Linée fronça les sourcils.

De toute évidence, il faisait nuit à l'extérieur. Le médecin, Grem, Veb, et les autres patients avaient disparus. Il ne restait plus qu'elle, et Bao. Cette situation ne lui plaisait pas. Pour ne rien arranger, une anxiété pénétrante et une agitation nerveuse transparaissaient dans les traits du moustachu.

L'homme répéta instamment la question.

- Pourquoi ? s'enquit Linée. Où sont les autres ?

Perdant patience, l'ancien chef des insulaires la pressa.

- On n'a pas le temps pour ça. Mets-toi immédiatement sur tes jambes si tu le peux. Obéis à ce que je te dis et tais-toi, ou je te ferais taire. C'est clair ?

La femme serra les dents. Elle se sentait terriblement faible, et, en conséquence de cela, ne se voyait pas affronter physiquement Bao. Ainsi, pour éviter de dilapider ses forces dans des résistances inutiles, elle se résigna à suivre les ordres, en ravalant son dégoût.

Avec un peu d'aide, et après avoir bu trois gorgées d'eau, elle put se mettre debout. L'homme lui demanda de camoufler ses moignons dans ses vêtements, et de rester muette.

Ils vinrent d'abord toquer à la porte de la cabine du navire voisin. Le visage du guérisseur apparut. Bao lui signala son départ. Le médecin observa Linée de haut en bas, puis se contenta d'un hochement de tête entendu, avant de refermer le battant.

Ensuite, le moustachu conduisit la femme dans les dédales de poutres, formant un lacis inextricable de ruelles flottant sur l'eau, jonchées de caisses, de cordages, de sacs et de tonneaux. La nuit n'avait rien enlevé aux tractations malsaines qui s'y déroulaient. Elle avait simplement réduit le flux de passants et obscurci le marché, bien que des torches illuminassent les axes principaux.

Bao leur fit emprunter les plus étroites ruelles, et les places les plus désertes. De sous sa veste, il sortait parfois un poignard qu'il pointait en direction des côtes de Linée, tout en la saisissant par le coude, pour la forcer à le suivre. Ses menaces s'arrêtaient chaque fois qu'ils croisaient quelques passants d'un peu trop près. Dans ce cas, l'homme cachait l'arme sous son habit, et faisait mine de laisser libre les mouvements de sa captive.

A vrai dire, du point de vue de Linée, les agissements de Bao ne semblaient pas structurés ni intelligemment orchestrés. Ils paraissaient plutôt improvisés, maladroits, voire terrifiés. Le visage de Bao ne cessait de pivoter, à droite, à gauche, alerte et angoissé. C'était comme s'il craignait une menace qui pourrait surgir de n'importe où, et sans savoir sous quelle forme elle se présenterait.

Plus ils avançaient, plus ils s'approchaient de l'île de Naï, qui se dessinait comme une ombre colossale derrière les mâts. Linée ne connaissait pas leur destination, et cette incertitude s'ajoutait à la peur que lui faisait ressentir son guide imprévisible, à la fébrilité envahissante, et à la respiration bruyante.

Le Pêcheur et le MeunierWhere stories live. Discover now