Episode 5 - Chapitre 4 : Miel et Paille ; Errance

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Du point de vue de Miel.

En prolongeant le geste, Miel libéra ses prunelles. Elle se vit au cœur d'une forêt, de nuit. L'éclat lunaire filtrait à travers les branchages. Une odeur d'humus, de champignons, de sève, d'écorce et de pluie embaumait l'air.

La femme fit un tour sur elle-même. Elle ne distinguait rien que des troncs et des fourrés.

- Téa ? appela-t-elle.

Seule une chouette répondit.

Supposant que le sort n'avait pas fonctionné comme prévu, Miel répéta la danse, mais rien ne se produisit.

Inquiète, la blonde réitéra le mouvement, sans résultat.

Elle se risqua à explorer les environs, et, après avoir décrit une timide orbite, remarqua, un peu plus loin, la présence d'une terrasse de pierre, circulaire, couverte de feuilles mortes. Le vent dégageait la roche, laissant entrevoir des symboles de la magie des tourbillons.

Après s'être accroupie à côté de la construction et s'être intéressée à la forme des inscriptions, Miel eut la conviction que le cercle était identique à celui de la grotte. Elle repéra l'endroit où le vieillard l'avait invité à se tenir et s'y plaça. Ensuite, elle leva les mains au-dessus de sa tête, puis les passa sur ses yeux.



Cette fois, Miel fut bien transportée ailleurs, mais ne revint pas à la grotte, ni auprès de Téa. Elle apparut sous les giboulées, sur les hauteurs d'un talus. Le même cercle magique se cachait sous une saillie rocheuse. Elle y reproduisit le geste.

Par cette méthode, Miel voyagea dans nombre de lieux. Il serait trop long de faire le récit complet de ses escales, mais je peux en énumérer quelques-unes : un champ d'avoine verte soufflé par les bourrasques, les escaliers d'une église, une île déserte et escarpée, un chemin de terre sur lequel roulait une charrette, une cave à vin. La routine qu'elle développait, à mesure qu'elle explorait de nouveaux lieux, était la suivante : elle appelait Téa, puis, si un homme ou une femme croisait sa route, elle leur parlait de son amie, et, après qu'ils eussent confirmé ne pas la connaitre, elle cherchait le cercle de la magie des tourbillons, qui ne se trouvait jamais très loin.

Miel, étant de nature optimiste, ne se décourageait pas, ni ne sombrait dans la panique. Cependant, elle commençait à ressentir la peur d'avoir été induite en erreur par le vieillard, et l'angoisse de ne pas savoir comment rentrer à la caverne.



Elle crut comprendre, par l'observation et l'expérience, que le sort ne fonctionnait pas comme celui du couloir d'entrée. Son hypothèse était la suivante : contrairement à la manifestation précédente, où une pelle, un panier et un carillon étaient capables, à leur contact, de l'arracher de l'espace et du temps ; ici, aucun objet sauf le cercle d'écriture magiques, qui se trouvait systématiquement non loin d'elle, n'aurait eu ce pouvoir. Jusqu'alors, la conjecture se vérifiait. Elle avait d'abord touché l'avoine, les escaliers et une porte de l'église ; puis les étagères de la cave à vin contre lesquelles elle avait buttées et une bouteille qu'elle avait fait tomber ; sans noter d'altération de sa réalité. Ensuite, en guise d'expérimentation, elle avait manipulé de nombreux objets, serré la main d'un homme, pris le bras d'une femme, et s'était même amusée, en souvenir du sort précédent, à creuser la terre avec une pelle, sans que rien d'anormal ne se produisît. Cela lui semblait limpide : la magie ne s'opérait qu'à l'aide du cercle.



Après une énième danse, alors que ses doigts glissaient sur son nez, Miel ouvrit les yeux sur une mansarde, aux senteurs de remugle. Une trappe béante, au fond de la pièce, accueillait une échelle qu'elle descendit après avoir appelé son amie. En bas s'étendait un couloir de pierre froid. Frissonnant, les mains sur les bras, la femme dépassa une porte dont le battant était fermé, et s'avança vers une autre, ouverte, à gauche, qui donnait sur l'extérieur. La lumière était blanche, le jour gris. S'engouffrant par l'encadrure, Miel se vit dans une cour pavée, présentant des tilleuls, du chèvrefeuille et des hortensias. Un homme y balayait le sol.

Le Pêcheur et le MeunierWhere stories live. Discover now