Le Pêcheur et le Meunier

Episode 5 - Chapitre 12 : Miel ; L'éveil

Du point de vue de Miel.

Lorsque Miel se réveilla, il faisait jour et il pleuvait. Paille se trouvait à côté d'elle, assoupi. Elle avisa une outre pleine qui reposait contre son flanc et s'en saisit malaisément. Les événements récents lui revinrent en mémoire les uns après les autres : le duagone, le voyage à travers les tourbillons, Téa, Rodd et surtout Aben. Après la discussion avec le vieux capitaine, elle s'était efforcée de rentrer au plus vite via la méthode convenue, mais cela avait duré si longtemps qu'elle avait manqué d'y rester. La déshydratation et la fatigue, au sortir de la manifestation magique, l'avaient plongée dans l'inconscience. Elle réalisa alors, confuse, qu'en faisant la dernière danse, celle qui l'avait ramenée à la réalité, elle n'était pas apparue dans la salle du duagone, mais au pied des escaliers, qui menaient à l'extérieur. Pendant sa boisson, elle s'aperçut également avoir horriblement faim. Elle déglutit plusieurs fois, puis secoua le bras de Paille.

- Paille, dit-elle.

Ce dernier sursauta au son de sa voix. Il se tourna vers elle, ébahi.

- J'ai faim, annonça-t-elle, amusée.

- Miel ! s'écria Paille.

Le sourire jusqu'aux oreilles, il lui fit une accolade chaleureuse, émerveillé. Elle s'en était sortie.

La jeune femme, en se restaurant, apprit la durée de son absence : quatre jours de manifestation magique, suivie de deux jours d'évanouissement. Ensuite, elle s'enthousiasma de la nouvelle de l'arrivée de Rodd et de l'agrandissement de leur groupe - elle n'avait aucun souvenir de ses réveils demi-somnolents. Le réjouissement et l'assurance que cela lui fit éprouver la nourrit presque autant que le repas. Après que Paille eut parlé, elle fit le rapport de son voyage. Avec le recul, son propre récit lui parut invraisemblable. Paille confirma cette impression en ne cessant d'écarquiller les yeux, comme hypnotisé. Les phénomènes magiques piquaient son intérêt. Il soufflait de stupeur à la description hasardeuse de quelques étrangetés des tourbillons et s'épanchait dans des questions à chaque interruption de l'exposé. Miel n'aurait jamais pensé trouver un public aussi réceptif, surtout venant de Paille qui, à sa connaissance, n'aimait guère mobiliser l'abstraction et l'imaginaire. Cela la ragaillardit et lui donna l'idée d'inscrire son aventure dans le carnet de bord.

L'écriture l'occupa donc le reste de l'après-midi. Munie de l'encrier, la plume et le livre, elle se mit à résumer, du plus fidèlement possible, les événements qu'elle s'efforçait de se remémorer.

Lorsque vint le crépuscule, les naufragés les rejoignirent. On fit les présentations, on ralluma le feu ; puis, enfin, Rodd et Silane rentrèrent à leur tour.

- Miel ? Tu es réveillée ? s'étonna le guerrier en entrant dans la grotte.

- Rodd ! s'écria Miel.

Elle déposa le carnet, puis entreprit de se lever, le visage rayonnant. Rodd était décoiffé, ruisselant d'eau, les vêtements poisseux, plein de sel, harassé, la main sur la lanière de son sac ; mais son regard témoignait d'un soulagement que Miel perçut immédiatement. Bien que déstabilisée par des vertiges, et même si elle ne s'était jamais comportée aussi familièrement avec le guerrier, elle vint lui passer les bras autour du cou. Le grand homme se baissa pour se laisser faire. Miel sourit.

- Paille m'a dit que tu t'étais assommé dans la caverne ? s'étonna-t-elle. En voyant la vague, te sachant dedans, j'ai eu peur.

- C'est ça, dit-il. J'ai eu peur aussi, et puis j'ai pris une barque.

Miel rit.

- Je suis contente de te revoir, dit-elle.

- Moi aussi.