Episode 6 - Chapitre 14 : Paille ; Qui est là ?

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Du point de vue de Paille.

Cela faisait trois jours que Rodd était parti. Depuis son départ, le groupe s'était rassemblé pour former un seul camp, dans la grotte du fond de la forêt. Le premier soir, le cas de Miel avait été discuté. On lui avait demandé des excuses, et elle s'y était pliée, tout particulièrement envers Tifrême qui demeurait sur la réserve. Ensuite, exténuée, Miel s'était reposée. Elle avait essentiellement dormi les jours suivants. Les autres compagnons s'étaient affairé à trouver de la nourriture, fabriquer le bateau et surveiller la mer.

Ce soir-là, le soleil n'était pas encore couché lorsque la troupe se regroupa autour du feu. Ils firent cuire un reste de céréales, des légumes et deux lapins, au-dessus des flammes. Tout le monde semblait fourbu.

Et alors que Paille plongeait la main dans son écuelle pour en tirer un morceau de viande, il vit un mouvement dans les feuilles des arbres qui faisaient face à l'antre. Aussitôt, il se mit sur ses jambes. Tout le monde s'agita. Tifrême se dressa. Guenor interpella :

- Qui est là ?

Et trois hommes se détachèrent des troncs, pour se montrer à la lumière orangée du soir. Il y avait un petit chauve au regard vif, au milieu, accompagné d'un grand robuste couvert de taches de rousseur, et d'un autre avec des cheveux longs et gras, à qui il manquait quelques dents. Tous trois paraissaient misérables. Ils étaient armés, mais rudimentairement, et ils ne dégainaient pas. Les voyant surgir, la troupe de Paille avait tressailli. Chacun avait mis la main à un objet contondant. Le petit chauve, au-devant des arrivants, levait les mains comme pour calmer le jeu.

- Nous ne vous voulons rien, affirma-t-il.

Ils s'arrêtèrent après s'être approché de quelques aunes. Paille eut alors la confuse impression de les avoir déjà vu quelque part. Miel aussi, manifestement, puisqu'elle plissait les paupières de façon caractéristique. Leur relative proximité laissait aussi deviner qu'ils étaient indigents et affamés.

- Qui êtes-vous ? s'enquit Paille. Qu'est-ce que vous faites là ?

- Vous ne vous souvenez pas ? s'étonna le petit homme.

- C'est des hommes de Bao, dit Silane.

Dès que la vieille femme eût donné cet éclaircissement, la mémoire de Paille se rafraichit, et il les reconnut tous les trois comme des membres de l'équipage qu'il avait rencontré quelques semaines auparavant, le jour de la tempête. Miel s'assombrit.

- Tu t'appelles Gaën c'est ça ? reprit Silane. Qu'est-ce que tu fais ici ? Bao n'est pas avec toi ?

- Non, dit péniblement Gaën. Bao est mort. Il y a eu une mutinerie, dans l'équipage. Huril a essayé d'en prendre la tête, et on l'a puni pour ça. A présent, le chef, c'est moi. On ne vous veut pas de mal. On cherche simplement un endroit. On a plus rien... On manque d'eau, et de nourriture.

- Mais... Combien êtes-vous ? demanda Paille.

- Quatre. Il y en a un qui est resté au bateau.

- Ah, vous avez toujours votre bateau ?

- Oui.

Gaën s'avança de trois pas. Paille remarqua ses joues creusées et son œil terne. Le petit homme avait l'air trop faible pour opposer une résistance farouche. Néanmoins, Silane se méfiait.

- Vous êtes toujours à la botte de Körl, je me trompe ? dit-elle.

Gaën haussa les épaules.

- Si je l'étais, ne croyez-vous pas que j'aurai trouvé un moyen de me nourrir ? L'île de Körl ce n'est pas très loin, au sud.

- Ils vous ont rejeté, c'est ça ? Ils vous ont dit d'aller voir ailleurs.

Las, l'homme dodelina des épaules. Miel grimaça.

- Si c'est ça, personnellement ça n'est pas la peine d'essayer, je ne vous ferai pas confiance, affirma-t-elle.

- Moi non plus, dit Silane.

Gaën tempéra :

- Attendez. Je ne vous demande pas de nous offrir à manger, ni de nous héberger. Nous sommes simplement venus ici pour savoir si... Vous toléreriez, juste, que nous restions mouillé là, sur la côte, et que nous y cherchions à manger et à boire, par nous-mêmes. En nous restreignant à un petit coin, bien sûr, si vous voulez.

Paille inspira par le nez. Il remonta sa ceinture des deux mains, en observant les réactions des autres membres du groupe.

- Moi, dit Fède, ce que je comprends, c'est que vous seriez avec Körl s'il ne vous avait pas rejeté.

- Comprenez ce que vous voulez, souffla Gaën. On vous demande simplement si vous toléreriez qu'on reste un peu ici, c'est tout. Sinon on s'en va. On ne vous dérangera pas. On est pas en mesure de le faire.

- Il n'y a pas d'autres îles ? questionna Paille.

- Pas beaucoup.

Le petit chauve se gratta le nez. Puis il reprit d'un ton maussade où pointait de l'irritation :

- Ecoutez, lorsque vous nous aviez demandé la même chose, il y a quelques semaines, on avait accepté. C'est pas vrai ? Et je tiens à rappeler que vous nous aviez menacés. Nous, on vient poliment, on n'a rien. Qu'est-ce qui vous fait peur ? On ne va rien faire, juste, manger ce qu'on trouve, pas loin du bateau.

Il ferma les yeux et inspira comme pour se contenir.

- S'il vous plait... conclut-il. On ne demande rien d'autre.

Un silence se fit. Paille ne savait pas comment se comporter. Guenor prit les devants, en sollicitant les naufragés.

- Qu'est-ce que vous en pensez ? fit-il. Moi je n'y suis pas formellement opposé.

- Oui, à condition qu'ils ne restent pas trop longtemps, dit Fède.

- Oui, je pense qu'il ne faudrait pas que ça dépasse trois ou quatre jours, confirma Guenor.

- Trois, je pense que c'est déjà beaucoup, dit Miel.

- Oui, fit Paille.

- Ça m'est égal, dit Silane.

Tifrême abonda dans leur sens d'un geste.

- Trois jours ? proposa Guenor à Gaën.

Celui-ci baissa la tête, d'un air de gratitude.

- Parfait.

- On peut voir où vous vous installez ? demanda Silane.

- On va rester dans notre bateau juste... On va venir ici pour... Le reste.

- On peut voir ? demanda Silane.

- Oui, oui. D'accord. Venez.



Ceux qui m'écoutent et ont attentivement suivi l'histoire depuis le début ont dû être étonné par le dialogue qui précède. Disons-le plus clairement, c'était bien l'équipage des mutins, ayant laissé Vaadre et Uky sur leur plateau de granite, qui, après s'être débarrassé de leur chef Huril, venait d'accoster sur l'île de Paille et Miel. Gaën, le nouveau meneur de la bande, celui qui était, on se souvient, en conflit avec Huril dès le début de la mutinerie, avait conduit la discussion. Et, indubitablement, il ne disait pas toute la vérité, ou du moins il en omettait une partie, puisque jamais les noms de Vaadre et Uky n'avaient été prononcés. Néanmoins, je tiens à rappeler que dans cette situation, ni Paille ni Miel ne pouvaient en avoir conscience. Ils avaient une certaine méfiance, c'est vrai, mais celle-ci n'était pas étayée par des faits aussi concrets que ceux dont disposent l'auditeur. Cela dit, ils avaient des raisons pour s'interroger davantage, puisque Miel avait vu Seban parmi marchands d'esclaves à Nelenvaï, et que ce dernier aurait dû faire partie de leur groupe.

Le Pêcheur et le MeunierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant