Note 3 : Téa et Linée - Partie 2

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Partie 2 : Le sacrifice et l'espoir


Pour comprendre cette histoire il est nécessaire d'introduire un troisième personnage de premier plan. Après Téa et Linëlle, je parlerai de Nimée.


Nous étions en janvier 1189, trois ans et demi après le début de la montée des eaux. Nimée, vingt-trois ans, se tenait assise sur une île presque plate, dominée par un unique arbuste sans feuille. Le ciel était couvert de nuages blancs. Du coin de l'œil, elle observait les silhouettes des deux compagnons qui lui restaient : une femme d'âge mur, d'apparence robuste, qui étendait ses jambes devant elle en fixant l'horizon ; et un homme sombre qui demeurait debout les pieds dans l'eau.

Tous les trois réunis ainsi, malgré le silence qui régnait, ne laissaient pas supposer le sacrifice qu'ils venaient de faire.

En effet, leur équipage, initialement composé de huit membres, avait perdu son voilier à l'occasion d'une confrontation avec des bandits. Dépouillés, abandonnés sur cette île déserte et désolée, ils avaient dû composer avec la seule embarcation qui leur avait été laissée : une barque pour deux personnes. Jamais le frêle esquif n'aurait pu les supporter tous les huit. Ainsi donc était naturellement venue la question de savoir qui resterait sur place, étant donné que l'île n'offrait pas de quoi boire ni de quoi manger ; et que la première terre à la ronde se trouvait à plus de quatre jours de voyage en barque. Ne pas partir signifiait donc, probablement, mourir.

C'étaient les trois personnes dont nous parlions qui s'étaient proposées.

Je ne réponds pas de la raison qui avait poussé les deux premiers à se sacrifier, bien que la question méritât étude, mais j'aimerais d'autant plus interroger le cas de Nimée. Elle était une jeune femme vigoureuse, dans sa vingtaine, et avait peut-être plus de chance que d'autres de s'en sortir. Alors on pourrait songer à l'altruisme, l'appel de l'héroïsme, ou tout autre sentiment noble, chevaleresque, idéaliste ou juvénile, qui l'aurait entrainé vers son sacrifice. Mais la jeune femme ne dégageait rien de tout cela. De ce qu'elle montrait, elle était réservée, suiveuse, distante, guère encline à la confrontation et ne paraissait pas dotée d'une volonté suffisante pour une telle abnégation. Alors pourquoi ce geste ? Cela semblait inconcevable.


C'était pour cette raison que tout le monde s'était étonné lorsqu'elle s'était proposée pour se sacrifier, sans même s'expliquer. Laconique, la jeune femme s'était assise, simplement, et on avait fini par accepter son choix.


A présent que la barque s'était éloignée loin des côtes, et qu'on ne la voyait même plus sur la ligne d'horizon, Nimée s'était mise à regarder alentours. Elle finit par croiser le regard d'Asine, la vieille femme, et se leva pour la rejoindre.

Cette dernière avait le visage rubicond et les pommettes hautes. Elle portait des habits très clairs et lisses comparés à sa peau brune, pleine de tâches.

Sans rien dire, Nimée s'assit naturellement à côté d'elle. Asine lui sourit. Elles attendirent ensemble et observèrent le jour tomber.


- Tu ne m'as jamais parlé de toi, Nimée, dit Asine.

Nimée orienta l'œil vers la vieille femme ; les courbes de sa tête ronde étaient tournées vers le ciel. La nuit étoilée s'étendait au-dessus d'elles.

- Il n'y a pas grand-chose à dire, répondit Nimée.

Asine semblait sourire.

- Toute vie regorge de richesses, Nimée. La tienne, comme celle des autres. Ce n'est pas que tu n'as rien à dire, c'est que tu ne veux pas en parler... Nous allons mourir, de toute façon. Alors raconte-moi un petit peu.

Le Pêcheur et le MeunierDonde viven las historias. Descúbrelo ahora