Le Pêcheur et le Meunier

Note 3 : Téa et Linée - Partie 3

Partie 3 : Le souvenir et l'oubli

L'arrivée de Linëlle fut vécue comme un miracle par Nimée. C'était irréel. Ayant refusé de vivre, elle se trouvait soudain sauvée, extirpée de l'ombre par la main du destin pour être précipitée dans la lumière. Un jour après avoir renoncé à l'existence, elle se trouvait déjà à rire, réunie avec sa sœur. La revoir, elle, son visage enthousiaste, ses yeux bienveillants et ses mots taquins ; la voir présente, les cheveux gras pleins de sel à rouspéter joyeusement en tirant la corde du radeau, lui semblait onirique. Elle mit même un certain temps à cesser de se méfier, pour accepter qu'elle ne délirait pas, qu'il ne s'agissait pas d'un rêve dont elle se réveillerait d'un instant à l'autre. Linëlle et son frère Xan était bien là, et l'avaient bien sauvée. A partir de ce jour, ils formèrent un trio inséparable.

Ils parcoururent les mers ; faisant équipe avec des hommes et des femmes qu'ils croisèrent sur leur route. Linëlle, habile au tir à l'arc, enseigna la discipline à Nimée. Elles devinrent un couple d'archère redoutable, capable de chasser des animaux autant que de se défendre.

Le groupe prit l'habitude de se réunir les soirs autour d'un feu, où ils jouaient, chantaient et discutaient dans la bonne humeur. Au cours de ces soirées, Linëlle eût l'occasion de raconter à Nimée ce qui lui était arrivée. Ses frères et sœurs : Baal, Nidri et Myta, étaient tous les trois morts dans le premier mois de la montée des eau. A présent, leurs recherches avec Xan se concentraient sur Téa. Des indices lui étaient parvenus récemment : Linëlle savait que Téa faisait partie d'un influent groupe de sorcier, que l'on nommait l'équipage d'Aben.

Puisque Nimée n'avait pas de projets particuliers, elle consentit à les accompagner sur la piste de l'équipage d'Aben.

La complicité de Nimée et Linëlle semblait inconditionnelle, c'était comme si elles ne s'étaient jamais quittées. Avec le temps, la relation des deux jeunes femme devint si fusionnelle que chacune eût peur que l'autre ne se mît en danger pour elle, particulièrement Linëlle qui connaissait le tempérament de Nimée. Cela s'illustra lors d'une interaction avec un pirate du nom de Veled, qui marqua durablement la vie du groupe.

Ce soir-là, l'équipage s'était séparé, et Veled avait lancé l'assaut sur une moitié affaiblie du groupe, dont faisait partie Linëlle et Xan. Le pirate les avait ligotés dans une clairière, afin d'avoir des otages pour faire pression sur le reste de la troupe.

Par un concours de circonstances, Nimée localisa et pénétra la clairière seule, sans pouvoir espérer l'aide de quiconque.

Elle vint, à découvert. Veled la laissa s'avancer. Il arborait un sourire triomphant, indiquait du menton ses camarades ligotés, tout en se tenant debout devant elle avec un long couteau, épaulé de quatre hommes. Il l'invita à s'approcher davantage et de lui montrer ses « jolies mains ». « Va-t'en Nimée ! » ordonna Linëlle. Pour toute réponse, Nimée saisit son arc, et bandit la corde en visant la tête du pirate qui lui faisait face. Cette réaction était quelque peu inattendue, puisqu'elle se trouvait seule contre cinq. Néanmoins, l'action fut si soudaine qu'elle eut le mérite de suspendre les mouvements des malfrats. Ils n'osèrent plus bouger.

« Arrête, Nimée ! » fit Linëlle, hors d'elle. « Laisse-nous crever ! Ce n'est pas en crevant aussi que tu vas nous aider ! »

Se reprenant, Veled fit taire la femme d'un geste de la main. Il ramena son attention sur Nimée : « Ta copine a raison, petite. Arrête de faire le spectacle. On n'est pas en train de jouer, là. Si tu essayes de tirer, non seulement tu vas mourir, mais tes amis aussi. Tu n'es pas capable de tirer. Tu n'en es pas capable. Tu le sais. Alors arrête de faire le spectacle. »