Episode 2 - Chapitre 7 : Paille ; Une île

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Du point de vue de Paille.

Suivant les enseignements qu'ils avaient reçus de Téa, les deux compagnons, à bord du frêle voilier, avaient fait le tour de la nouvelle île. Le terrain était escarpé, accessible seulement au sud-ouest où se trouvait une pente de terre qui menait à une zone plus aplatie dans les hauteurs. Du reste, le lieu ne se présentait qu'en falaises et parois de granite, jusqu'à ce plateau supérieur, en croissant de lune, qui comportait un groupement épais d'arbres et de verdure entre deux pics rocheux.

Aucune embarcation, ni débris de ce qui aurait été un radeau, ne flottait aux alentours, ou ne se présentaient sur la pente de terre. En revanche, nombre de branchages et d'arbres déracinés avaient été charriés là, et s'agglutinaient contre la côte sud. Cette dernière particularité donnait une raison à Miel pour penser que leurs camarades avaient pu s'y échouer ; aussi proposa-t-elle de visiter les lieux.

Après hésitation, Paille se rangea à son avis. Ils mouillèrent au sud-ouest, non loin du seul accès qu'ils eurent trouvé. Arrivé sur la côte d'humus, le jeune homme dégaina son sabre par précaution, et ils avancèrent à pas feutrés entre les flaques, témoins de la tempête nocturne. Les deux compagnons ne croisèrent pas âme qui vive, ni sur la pente de terre, ni dans la forêt touffue qu'ils traversèrent lentement. L'exploration fastidieuse les mena à s'approcher de la partie nord, plus étroite, du croissant de lune qui constituait le plateau sur lequel ils marchaient. A cet endroit le terrain plongeait dans la jonction entre les deux pics rocheux qui le dominaient. Paille fut stupéfait d'y découvrir un potager de petite taille, comportant une certaine variété de légumes ; des choux, des salades, des courges, en ce lieu où la forêt s'amenuisait. De toute évidence, l'île était habitée, par au moins une personne.

Du doigt, Miel indiqua à Paille une ouverture triangulaire colossale qui prolongeait le plateau en un imposant gouffre, fendant la roche à l'endroit où les deux montagnes fusionnaient. Quelqu'un, ou un groupe d'individus, aurait pu loger dans cette grotte.

Ils murmurèrent quelques mots, puis décidèrent de parcourir brièvement la caverne, en restant prudents, sur leur garde. Paille ouvrait le chemin et Miel le suivait de près. Discrètement, ils pénétrèrent dans cette cathédrale de granite, dont la voûte supérieure était si haute que quelques arbres poussaient sur son sol. Une plainte légère, irrégulière, dont le jeune homme ne connaissait pas la source, émanait du fond de l'antre rocheuse. Plus ils progressaient, plus le son se précisait distinctement ; ressemblant à des lamentations, des pleurs, produits par un être humain, probablement masculin. Après un échange de regard, qui témoignait d'une tension réciproque, Paille et Miel furent d'avis de rejoindre l'origine du bruit. Ils progressèrent jusqu'au fond de la grotte, à un endroit où la cavité se réduisait à taille humaine, et obliquait vers la droite. Une odeur pestilentielle se dégageait de ce couloir, dont, c'était à présent certain, les pleurs provenaient.

Aussi rebuté qu'anxieux, Paille hésita un instant à y entrer. Il mit une main sur son visage pour tenter de repousser la senteur immonde, et chercha l'avis de Miel dans son dos. Celle-ci avait dégainé un poignard et l'encouragea à avancer, en cachant le nez dans sa tunique. Prenant son courage à deux mains, Paille inspira longuement, dressa le sabre devant lui, et s'engouffra d'un mouvement brusque dans le passage ; en garde.

Ce qu'il vit lui souleva le cœur. Un vieil homme sale ; aux cheveux rares, longs, gras et à la barbe foisonnante ; pleurait, abattu, avachi devant le cadavre purulent et carbonisé d'un chevreuil. Il était seul dans une cavité qui continuait plus loin en un couloir sombre, plongeant dans les ténèbres. Ses bras ballants traînaient au sol sur lequel il demeurait assis, misérable, le dos voûté. Des larmes roulaient sur ses joues, puis se mêlaient à la bave qui se répandait dans sa barbe. Le vieillard sanglotait ainsi, inlassablement, sans sembler nullement remarquer la présence des deux jeunes gens qui venaient de surgir. Alliée à la puanteur, cette vision avait tout d'abject. Écœuré, Paille resta en retrait. Il ne savait comment aborder la situation. Miel, quant à elle, paraissait moins perturbée que lui. Elle rengaina le poignard, le geste lent, et s'approcha de deux pas, prudemment, avant de s'exprimer d'une voix douce :

Le Pêcheur et le MeunierWhere stories live. Discover now