Le Pêcheur et le Meunier

Episode 5 - Chapitre 15 : Uky et Paille ; Une semaine angoissante

Du point de vue d'Uky.

La pluie finit par cesser, mais l'atmosphère au sein du groupe n'en fut pas moins accablante. La place occupée par la fillette ne faisait qu'enfler. Ses humeurs instables se multipliaient. Comme la quarantenaire n'avait plus d'excuses à lui fournir, l'enfant semblait de plus en plus dérangée par l'absence d'ombre à ses pieds et l'eau qui la trempait. Elle ne cessait, également, de s'irriter auprès de Vaadre qui se décomposait au fil des jours. Le teint du mousse était devenu maladif ; son corps, celui d'un agonisant. On le surprenait souvent atteint de vertiges, à trébucher ou à s'étendre pour retrouver ses esprits. Lorsqu'il pouvait prendre Uky à part, il ne parlait plus de ses cauchemars ou de ses douleurs, mais seulement de sa volonté de chasser l'enfant. Il disait se sentir horriblement oppressé. Une inexpugnable noirceur, gonflée d'angoisse, pesait dans ses entrailles, l'empêchait de respirer, de penser. Cela faisait plus d'une semaine qu'il n'avait presque pas dormi, ni mangé. Chaque jour qui passait se révélait pire que le précédent. Peu à peu, une conviction latente s'était assise sur son corps frêle. Prenant d'abord l'apparence d'un fardeau, elle s'était métamorphosée pour dévoiler son vrai visage : celui de l'impuissance morbide. Par deux fois, il avait sous-entendu à Uky, en enrobant ses propos de pondérations prudentes, qu'il commençait à craindre d'en mourir. Puisqu'ils s'affaiblissaient, chuchotait-il pour son amie, peut-être faudrait-il se hâter d'entreprendre une action. A mesure que leurs forces s'amenuisaient, le combat s'embourbait.

Uky, attentive, désirait lui prêter main forte, mais ne savait quoi proposer. La petite ne paraissait pas avoir envie de les quitter. Aucun plan ne parvenait à la convaincre. Le seul recours était le radeau. Il fallait patienter.

En effet, bien qu'ils n'eussent jamais empiriquement constaté la dangerosité de la fillette, et même si aucun phénomène magique n'avait été relevé pendant ses épisodes de frustration ; les compagnons restaient d'avis de ne pas la perturber ; de ne pas la déranger ; de ne pas lui faire apparaitre sa condition de monstre ; de demeurer discrets, et de se retirer. Cette conviction, comme je le disais, leur venait des conseils avisés d'Aben, mêlés à leurs superstitions.

De plus, depuis quelques jours, l'eau montait résolument. Le sommet ne se trouvait à présent plus que huit toises au-dessus du niveau de la mer ; la grotte à quatre. Cette élévation soudaine leur faisait espérer pouvoir embarquer prochainement, pour s'en aller loin de cette île maudite et du spectre qui la hantait. Le radeau, de surcroit, était presque achevé.

C'était là l'unique solution qu'Uky ne cessait de soumettre à Vaadre :

- Plus que quelques jours, disait-elle.

Mais le jeune homme répondait avec pessimisme :

- Semaines, plutôt.

Comme mentionné précédemment, la quarantenaire, aussi, souffrait de la compagnie de l'enfant. Depuis que celle-ci s'était présentée sous le nom d'Aphelina, Uky avait eu à batailler avec les souvenirs de sa fille. Paradoxalement, les songes lui apportaient une impression toute aussi chaude qu'ignoble, si bien qu'elle ne pouvait que les repousser avec horreur. Cela affectait ses nuits, mais sans la fatiguer autant que Vaadre. Un sommeil apaisé la gagnait souvent : elle s'abandonnait, croyait son enfant en vie, dormant à côté d'elle, et se réveillait dans la réalisation épouvantable et nauséeuse de son erreur. Sa pensée ne cessait d'être tiraillée. Dès qu'elle relâchait son attention, et que sa conscience s'embrumait, l'idée que la fillette eût été Aphelina se glissait en elle. Elle s'épancha sur le sujet auprès du mousse, qui prit une mine grave et ne sut que répondre.

Puisque le temps était redevenu clément, les compagnons étaient retournés sur le sommet de l'île. Un soir, alors qu'ils mangeaient autour d'un feu quelques rations d'avoine accompagnés de filets de dorade, la fillette demanda :