Episode 1 - Chapitre 8 : Du point de vue de Téa - Première partie

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Rodd s'éloignait à grandes enjambées, il disparaissait dans la pluie diluvienne, et Téa le suivait tant bien que mal. La femme, lassée, lui ordonnait de ralentir, et s'irritait de ne pas être écoutée.

Téa avait trente-six ans, ses longues lèvres expressives soulignaient un regard sombre foudroyant, colérique et désabusé. Habillée d'une cotte de mailles qui couvrait sa silhouette élancée, elle portait dans son dos une imposante hallebarde, et un glaive pendait à sa ceinture. Sous la tempête, ses cheveux blancs et gris dégoulinaient, balançaient, animés par une démarche énergique.

Une voix féminine se fit entendre dans son dos :

- Attendez !

Téa soupira, et jeta un œil derrière elle, découvrant la jeune Miel. Celle-ci trottait et trébuchait, une torche à la main.

- Reste avec les autres. ordonna Téa, fatiguée.

Rodd s'écartait encore davantage, sans les attendre, ce qui commençait à léser sévèrement la trentenaire. Miel aussi n'en faisait qu'à sa tête, elle criait :

- Non, attend ! Téa !

Excédée et tiraillé, Téa hurla de toutes ses forces pour dire à Rodd de freiner son avancée furieuse. Le guerrier à l'épée de bois n'obéit que modestement, poursuivant une démarche un peu plus lente, en jetant un regard désintéressé à son interlocutrice. Miel rattrapa la femme aux cheveux blancs et, en l'accompagnant, elle expliqua :

- Nous séparer me semble être une mauvaise idée ! Il fait nuit noire, on ne voit pas à deux pas de distance, il est préférable de rester groupés !

- Comment veux-tu trouver Aben si personne ne le cherche ? demanda Téa.

- Ce n'est pas à nous de le chercher, argumenta Miel. C'est à lui de venir à nous. Le connaissant, il n'a certainement pas de torche ni de lanterne, nous en avons. Nous sommes visibles de loin, et ce n'est probablement pas son cas. S'il était parti sur le rivage à l'ouest pour uriner, ou bien que sais-je, nous ne le verrions pas ; il aurait aussi tôt fait de rentrer au campement alors que le groupe n'y est pas rassemblé, et c'est stupide.

Téa réfléchit un instant. Le pas des deux femmes était vigoureux, tout en argumentant, elles progressaient hâtivement à la suite de Rodd. Téa finit par répondre :

- S'il avait été du côté du rivage, pourquoi n'aurait-il pas prévenu le groupe au sujet de la montée des eaux ? Ce que je sais, c'est qu'au centre de l'île, il existe un bosquet mystérieux, où nous avons interdiction d'aller, ce qui aurait fatalement dû éveiller la curiosité d'Aben. De plus, engouffré dans ce bois, il n'aurait pas pu voir l'eau monter, ce qui concorde avec le fait qu'il ne vienne pas nous en prévenir. Tout me laisse à croire qu'il se trouve là-bas.

- Et s'il avait été capturé par les habitants de l'île ? reprit Miel. Dans ce cas nous serions trois à nous jeter bêtement dans la gueule du loup, au lieu de rester groupés tous les sept pour leur faire face !

- Il n'a pas été capturé. la coupa Téa, sûre d'elle. Aben est en visite dans ce bosquet, en plein milieu de l'île, sans se douter que la marée montante le met en danger.

Cette dernière thèse, exposée avec froideur, autorité et fermeté, fit taire Miel. Et alors que, résignée, celle-ci s'apprêtait à rentrer vers la plage qui avait disparu au loin, la trentenaire l'arrêta. Tous trois s'était trop écarté du rivage selon Téa, pour que Miel puisse faire demi-tour en espérant ne pas se perdre dans la nuit, et de surcroît retrouver sereinement les autres compagnons qui auraient pu se déplacer ou avoir l'opportunité d'embarquer. Elle jugea à la fois plus simple et plus raisonnable que Miel reste avec eux. La jeune blonde se trouva alors contrainte d'accompagner Téa et Rodd à la recherche d'Aben, sans l'avoir choisi. Au moment où le dialogue se terminait, quelques troncs noirs se dessinaient non loin de là. Un éclair illumina la forêt de pins qui se dressaient face à eux, voisine du massif rocheux qui dominait l'île ; le tonnerre gronda. Ils pénétrèrent tous les trois dans les bois, lançant communément des appels à Aben par intervalles réguliers. Après un temps, ils trouvèrent la paroi de la butte de roche, collée au bosquet. En longeant cette dernière ils y découvrirent une caverne qui s'engouffrait à perte de vue dans la pierre. A l'entrée du souterrain, on apercevait une barque en bon état et quelques caisses de vivres et de bouteilles d'alcool.

- Ce doit être une réserve des habitants de l'île. supposa Téa.

- Je pense qu'Aben est dedans. affirma Rodd.

Téa confirma d'un soupir accablé. Elle confia sa lanterne au guerrier, qui n'avait pas de lumière, et lui dit :

- Empresse-toi de faire le tour de cette caverne. Nous, on va s'assurer qu'Aben n'est pas dans la partie nord de la forêt. On reste à proximité, et on te rejoindra rapidement.

Rodd obéit et s'élança dans la grotte, en tenant la lanterne devant lui. Miel désapprouva, le visage inquiet. Elles n'étaient plus que deux, à présent, munies d'une seule torche pour éclairer leur chemin.

Téa poursuivit son avancée dans la forêt, vers le nord, en faisant signe à Miel de la suivre. Elles s'écartaient toutes les deux de la grotte, le pas rapide, en ayant l'intention d'y revenir au plus vite. A peine eurent-elles effectué une trentaine de pas, qu'un détail attira l'attention de la jeune femme aux cheveux blancs. Elle arrêta sa marche et mit la main sur sa hallebarde. Entre les troncs, deux silhouettes s'approchaient.

Le Pêcheur et le MeunierWhere stories live. Discover now