II - Chapitre VI

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Hélène fut incapable d'avaler quoi que ce soit du dîner, l'envie de fondre en larmes bloquée dans sa gorge. Elle se faisait violence pour ne pas s'humilier d'avantage et se promettait d'attendre d'être dans sa chambre pour se laisser aller aux pleurs. 
On avait parlé d'elle comme si elle n'était pas là, on l'avait comparé à du bétail, à un animal qu'on vend et qu'on s'approprie, à un bijou qu'on expose avec fierté, à un meuble qu'on bouge comme on le désire... mais en aucun cas à un être humain.
Cet homme, le frère cadet du duc, qui s'était fait passer pour lui, qui avait intentionnellement fait croire à la jeune femme qu'il était son époux, s'était moqué d'Hélène. Elle se sentait bafouée et humiliée plus qu'elle ne l'avait jamais été. Elle se sentait salie également, par ce baiser qu'elle avait osé aimer. Par cette langue et ces lèvres contre sa bouche qui lui avaient volés son premier baiser. Le duc était il au courant? Non, sans doute pas... Que se passerait-il s'il l'apprenait? La tuerait-il? La chasserait-il? La batterait-il? L'adultère d'une femme pour son mari était l'une des choses les plus graves, sa mère le lui avait assez répété. Selon la loi, l'époux avait droit de vie et de mort sur sa femme infidèle... et Hélène voulait pas mourir.
Se jeter à genoux, avouer et demander grâce, ou bien garder le silence et prier?

-Vous ne mangez pas?

Hélène sursauta lorsqu'elle comprit que pour la première le duc s'adressait à elle. Elle échangea un regard avec Margot qui essayait de la rassurer par ses yeux du mieux qu'elle pouvait.

-...Je... je n'ai pas faim...
-Votre appétit ne m'intéresse guère. Mangez.

La jeune femme n'eut aucune envie de discuter. Elle baissa les yeux sur son assiette et saisit sa fourchette, la main tremblante. Elle piqua ce qui s'y trouvait et le porta à sa bouche, mais elle avait beau mâcher, elle n'arrivait pas à avaler, la gorge complètement nouée. Finalement elle vida une coupe entière d'eau et réussit à faire passer sa bouchée, non sans mal. Elle reposa sa fourchette, espérant que cela suffise à la faire oublier du duc.
Ce dernier avait bon appétit et passa le dîner à discuter politique, guerres et argent avec son frère.
Parfois, elle se mettait à les observer furtivement, et regrettait amèrement de ne pas être mariée au plus jeune. Même si de toute évidence vicieux et malin, il paraissait néanmoins plus doux et moins effrayant.
Enfin, le dîner pris fin, après un temps interminable, et les serviteurs reculèrent les chaises des deux femmes pour les aider à se lever et les inviter à disposer. Hélène en était vraiment soulagée.

-Bonne soirée... dit-elle d'une voix faible et penaude.

Mais au moment de passer devant le duc pour sortir, il dit d'un ton neutre:

-Je viendrai vous voir. Ce soir.

Le coeur d'Hélène manqua un battement dans sa poitrine et ses muscles se crispèrent. Elle était incapable de répondre quoi que ce soit, alors elle se contenta de continuer d'avancer hors de la petite salle à manger, Margot à ses côtés.
A peine la porte passée, alors qu'elle marchait d'un pas vif dans les couloirs, les premières larmes se mirent à couler sur ses joues, des larmes silencieuses de terreur et de résignation. Dans les escaliers, un premier sanglot sortit, et Margot comprit. Elle posa une main rassurante sur le dos d'Hélène qui montait les marches à une vitesse folle de peur de croiser quelqu'un. Arrivées à l'étage, Hélène pleurait réellement, incapable de se contrôler. Elle n'avait que dix-sept ans et ce soir, son mari quasiment trentenaire viendrait prendre ce qui lui revenait dans sa couche. Si elle savait que la différence d'âge n'était pas la pire (elle pensait notamment à sa sœur de deux ans son aîné qui avait épousé à seize ans un homme de dix-huit de plus qu'elle), elle ne pouvait s'empêcher de trouver cela terrible. Et surtout, son apparence entière la terrorisait. Cet homme lui faisait peur. Il était sombre, rustre, son regard était cruel et sa cicatrice la dégoûtait. Mais elle était mariée, elle était piégée. Alors elle ne savait pas quoi faire d'autre que pleurer...

Épées et BaisersWhere stories live. Discover now