XIV - Chapitre LXI

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-Tu n'as pas fini ton assiette.
-Je n'ai... plus faim... hésita Hélène, se demandant s'il accepterait cette réponse ou s'il la forcerait à finir comme une enfant malgré tout.

Mais il se contenta de prendre l'assiette et de la donner à un serviteur sur sa gauche avant de poser sa main sur la taille de son épouse pour l'inviter à avancer de nouveau dans la foule.

-Tu as été sage le si peu de temps que je t'ai laissée?
-Oui...

Elle ne savait pas si elle devait lui dire ce qui s'était passé, mais après tout elle n'avait rien fait de mal et n'avait elle-même pas compris ce qui était vraiment arrivé.

-...Une femme est venue me parler.

Philippe s'arrêta et la regarda en face, un sourcil dressé, lui faisant comprendre qu'elle devait poursuivre.

-Elle m'a fait des remarques... étranges... Elle m'a dit s'appeler Louison d'Armancier.

En entendant ce nom, le visage du duc fut traversé par une expression indéchiffrable qui interrogea Hélène.

-Vous la connaissez?
-Oui. Mais peu importe. Elle n'est pas une de tes amies, méfie-t-en.

La jeune femme aurait hoché la tête gentiment en temps normal, mais elle voulait en savoir plus. Il avait paru troublé un instant, elle voulait savoir pourquoi. Il allait se remettre à marcher mais Hélène posa sa main sur son avant-bras pour l'arrêter dans son élan.

-Qui est-elle? Pourquoi dois-je m'en méfier?
-Peu importe ai-je dit.

Il allait encore la dépasser mais une nouvelle fois elle l'en empêcha et planta bien droit son regard dans le siens.

-Dois-je donc me méfier de tout le monde ici sans savoir pourquoi? Son nom vous a troublé, je l'ai vu, ne me mentez pas. Pourquoi ne voulez vous pas simplement me répondre?

Philippe resta silencieux en regardant au plus profond des yeux de la duchesse. Le monde autour d'eux flânait et gazouillait.
Finalement, il ouvrit la bouche après ce qui avait semblé une éternité à sa femme:

-Elle a été ma maîtresse.

Hélène eut un sursaut presque imperceptible mais qui n'échappa pas à Philippe. Elle avala sa salive. Son innocence ne lui aurait jamais fait entrevoir une telle possibilité, mais bien-sûr n'importe qui d'autre s'en serait douté.

-Mais cela est du passé. Voilà près d'un an que j'ai mis un terme à notre relation.
-...Pourquoi?
-Elle désirait plus, et il est vrai qu'elle a la noblesse et la richesse largement suffisante pour que je la prenne comme épouse. Mais je ne le voulais pas.
-Vous... ne me vouliez pas non plus... pourtant...
-J'aurais préféré n'importe qui plutôt qu'elle. Une paysanne aurait fait meilleure épouse que cette femme. Elle est... néfaste, et vicieuse. Je te le répète, méfie-t-en.

Ils se remirent à marcher, et il la tenait par la taille tandis qu'elle regardait le sol plongée dans son esprit.
Hélène ne savait pas quoi penser de ces informations.
Elle aurait sans doute dû être horrifiée à l'idée d'avoir une ennemie à la cour, pourtant ce n'est pas cette pensée qu'elle ressassait, mais celle du passé de Philippe. Elle n'avait jamais vraiment réfléchi à la vie sentimentale et sexuelle de son époux avant qu'il ne le soit, et maintenant qu'elle y songeait, c'était sans doute évident et logique qu'elle ne soit pas sa première. Au fond elle le savait déjà, mais cela était désormais tout à fait concret.
Alors que Philippe s'apprêtait à adresser la parole à un marquis comptant parmi ses amis, elle releva le visage et lui demanda soudainement:

-Combien?

Il fut étonné, ne comprit pas.

-Combien quoi?
-Combien de femmes?

Le duc commençait à perdre patience:

-Combien de femmes quoi?

Hélène répondit alors sur le même ton agacé et froid, en y ajoutant une ironie glaciale:

-Combien de femmes ont eu les honneurs de votre majestueuse présence dans leurs lits?

Philippe jeta un regard autour de lui pour être certain que personne n'avait entendu, puis la saisit par le bras et l'entraîna loin du monde dans un corridor désert. Ses doigts enfoncés dans la chair de son bras il dit, les mâchoires crispées:

-Comptes-tu passer chacune de tes soirées à la cour à te donner en spectacle?!
-Je n'ai posé qu'une simple question.
-Ma vie avant notre mariage ne te regarde pas.
-Ah oui? Et si moi je m'étais faite saillir par tous les hommes que j'avais croisé jusqu'à nos noces, cela vous aurait été égal? Vous auriez dit que cela ne vous regardait pas?

Une colère insupportable monta dans la gorge de Philippe, il saisit l'autre bras de la jeune femme et la plaqua contre le mur avec violence, lui faisant perdre toute son assurance. Il se pencha vers elle pour que leurs visages soient tout proches, et se força à garder une voix calme pour ne pas hurler:

-Arrête-de-faire-ça!

Il pouvait lui briser les bras, la détruire, la réduire à néant, pourtant, elle ne baissa pas le regard, et répondit:

-Arrêter quoi?
-De me rendre jaloux. Je déteste ça. Tu me fais détester celui que je deviens à cause de toi.

Cette fois-ci elle resta silencieuse, mais continuait de le fixer. Il continua:

-Il y a eu énormément de femmes. Plus que je n'aurais pu les compter. Est-ce ça que tu souhaites entendre? Alors je te le dis. Et tu sais quoi: il y en a même eu après notre mariage. Pourtant ce n'est pas elles que je veux, aucune d'elles. Elles sont insignifiantes, et toutes me veulent... sauf celle que je veux. La seule. Tu veux savoir la différence entre toi et moi? C'est que si j'apprends que quelqu'un d'autre t'a touchée, avant ou après moi, n'importe qui, n'importe quand, n'importe où, je le tuerai.

Épées et BaisersWhere stories live. Discover now