XVI - Chapitre LXX

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• Dix-sept jours plus tard •

Hélène frétillait comme une enfant, devant la grande porte du palais.
Trois années. Cela faisait trois années.

La calèche, petite au loin, grandissait en s'approchant, et s'arrêta enfin devant eux. Tous les serviteurs et les habitants du palais - l'exception d'Arthur, déjà parti pour l'école militaire - étaient en lignes pour accueillir ces nouveaux invités.
Le cocher de se fut et vint ouvrir la petite porte. Un homme aux jambes maigrichonnes et au ventre légèrement proéminent en sortit, suivit de près d'une jeune femme en robe rose pâle et au châle marron.

-Anne!

Sans se soucier des bonnes manières, de l'étiquette ou de sa condition, Hélène courut sur elle et se jeta dans les bras de sa sœur. Celle-ci fut légèrement surprise, mais lacha finalement un petit rire et rendit l'étreinte à sa cadette.

-Hélène... tu es toujours aussi animée.

Dans la bouche de leur mère, cela aurait été un reproche, mais au contraire, c'était ici un compliment. Anne avait toujours admiré l'étincelle de folie de sa petite sœur, qui lui avait tant manquée durant toutes ces années.

Enfin elles se lâchèrent, et ce n'est qu'à cet instant qu'Hélène remarqua sous le châle le petit ventre rond de son aînée.

-Oh Anne! Félicitations! Et où sont vos autres enfants?
-Nous avons laissé Jules et Jean chez nous. Ils sont encore trop petits pour un tel voyage... Mais je suis pressée que tu rencontres tes neveux!
-Trois ans. Trois enfants. Papa et maman aurait été fiers de toi...

Anne sourit et se tourna vers son mari, ne souhaitant visiblement pas aborder le sujet de ses parents.

-Hélène, je te présente Charles, mon mari. Charles, je vous présente Hélène, ma...
-Oui bien-sûr, j'ai tant entendu parlé de vous...

Charles prit la main d'Hélène et s'inclina en un baise main respectueux avant de se redresser en souriant.
Philippe approcha alors. Anne et Charles le saluèrent respectueusement, puisqu'il était duc, et eux non.

-Votre invitation nous a honoré Monsieur.
-Remerciez ma femme. Elle tenait tant à vous revoir, je n'ai pu refuser...

Philippe était très sympathique, tout comme il l'avait été à Versailles. Il avait toute sa vie appris à se comporter en société avec d'autres nobles, il connaissait le jeu sur le bout des doigts. Il les invita à entrer, et ordonna qu'on s'occupe de leurs bagages. Hélène et Anne se prirent bras dessus bras dessous et marchèrent vers l'intérieur tandis que derrière elles discutaient déjà Philippe et Charles.

-Te voilà donc mariée petite sœur. Lorsque j'ai lu la lettre, je n'y ai pas cru! Mais cet endroit est merveilleux, et ton époux a l'air charmant. J'espère que tu es heureuse.

Hélène sourit poliment:

-Je suis surtout heureusement de te revoir chère sœur! J'aurais tant de choses à te raconter. Je ne saurais même pas par où commencer...
-Nous avons tout le temps... Nous ne repartons que dans trois jours.
-Cela me semble si court.
-Ne dis pas cela. N'y pensons pas. Raconte moi plutôt ta nouvelle vie.

Les deux jeunes femmes commencèrent à discuter de toutes les choses que les rares lettres n'ont pas suffit à exprimer et raconter pendant toutes ces années.

Hélène était heureuse comme rarement elle l'avait été, et reconnaissante envers Philippe.
Depuis leur discussion, il ne l'avait pas forcée au moindre examen. Il n'avait pas non plus essayé de venir dans son lit, que ce soit pour lui prendre ou lui donner du plaisir. Enfin, il avait tenu sa parole et avait bien invité sa sœur ici. Elle était là, c'était réel et pas seulement un rêve. La jeune duchesse pensait presque ne plus jamais la revoir.
Néanmoins, depuis ces deux longues semaines d'attente, l'ambiance était assez froide dans le palais. Philippe et Hélène ne se voyaient quasiment pas, et lorsqu'ils se croisaient c'était trop poli, et pas assez naturel. Pour une raison qu'elle ignorait, cela lui pesait. Parfois elle se disait même qu'elle préférait quand il lui faisait peur, au moins il s'exprimait, et elle savait souvent à quoi s'attendre. Alors que là, rien. Elle ignorait ce qu'il voulait, ce qu'il pensait, ce qu'il espérait.
Heureusement, Margot était là, et désormais, Madame Simone était une alliée, toujours aussi directive et pressée, mais plus douce, et surtout bienveillante.

Anne et Charles étaient arrivés dans la soirée. Si bien que le dîner fut rapidement servi après leur arrivée. Philippe et Hélène étaient face à face, de part et part des plus grandes extrémités de la table, et Anne et Charles également face à face plus au centre.
Les discussions étaient joviales, et pour la première fois depuis longtemps, l'atmosphère était enfin plus légère. Hélène se prit à rire à une blague de son beau-frère et elle vit Philippe plus détendu. Du moins elle espérait qu'il le soit vraiment et que ce ne soit pas un masque. L'alcool aidait tout le monde à se détendre, la duchesse la première.

Enfin, on servit les plats. Le met principal était un faisan braiser que Philippe avait chassé le matin même dans ses terres.
Mais lorsqu'on en servit une tranche à Hélène et que l'odeur fumante arriva à ses narines, elle eut soudain le cœur dans la gorge et se sentit mal. Anne le remarqua immédiatement.

-Hélène tu vas bien?

Les regards des deux hommes se posèrent alors sur elle.

-Oui oui... je... excusez-moi... pouvez-vous retirer mon assiette s'il vous plaît?

Un serviteur s'exécuta.
Philippe fronça les sourcils et assassina du regard le serviteur qui tenait l'assiette.

-La viande a-t-elle mal été préparée?

Aussitôt, Charles en peut un morceau du bout de sa fourchette pour goûter.

-Hum... non, elle est parfaite.

Anne se leva de sa chaise et vint vers sa petite sœur qui tenait son ventre et avait une main devant la bouche. Elle lui dit doucement:

-L'odeur t'a donné la nausée?

La jeune femme hocha la tête.

-Hélène... quand as-tu saigné pour la dernière fois?

Cette dernière ne répondit rien, mais alors l'éclair qui passa dans son regard était tout à fait explicite. Elle venait elle même de comprendre quelque chose dont elle se doutait déjà. Anne sourit de toutes ses dents et la prit dans ses bras.
Philippe se leva, s'impatientant:

-Hélène vous êtes malade? Que se passe-t-il?

Anne éclata d'un petit rire et regarda son beau-frère avec un sourire sincère:

-Oh non cher duc, elle n'est pas malade. Mais son état risque de durer dans le temps... Je vous félicite. Votre femme porte votre enfant.

Épées et BaisersWhere stories live. Discover now