Chapitre 9 : Humains et loups

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Je broie du noir.

L'habitacle de ma Chevrolet est entièrement silencieux ; personne dans notre petit groupe n'ose piper mot. Rien à voir avec l'ambiance bonne enfant de la première partie du trajet. En trois heures de route, l'unique bruit ambiant a été celui du moteur de la Chevrolet, qui avale à nouveau les kilomètres joyeusement sous le soleil levant.

Est-ce que mes partenaires de voyages pensent à la même chose que moi ? Monstres. Ce mot ne cesse de tourner dans ma tête, sans être capable de dire pourquoi. A cause de la sonorité affreuse du monde dans la bouche de Mahu ? A cause de son expression dégoûtée quand elle l'a prononcé ? On aurait dit que c'était moi qui lui avait arraché sa mère, que j'étais responsable de ce carnage. Moi ! Avec ces chasseurs !

« ...thel ! »

Je serre les lèvres, resserrant mes mains sur le volant. Je dois effacer ce massacre de ma mémoire. Ces conflits ne me concernent pas vraiment, n'est-ce-pas ? Je ne suis pas une louve, et certainement pas une chasseuse. Juste une fille paumée, qui ferait mieux de se recentrer sur son objectif d'aider Tobias à rembourser sa dette. Plus vite je serais coupée du monde des loups-garous, mieux ça sera.

« Ethel !

-Hein ? »

La voix un peu plus stridente que d'habitude d'Hécate interrompt mon flot interminable de pensées. Je sursaute sur mon vieux siège en cuir, rencontrant son regard perçant dans le rétroviseur. Je me sens comme une petite fille attrapée en train de faire une bêtise.

« Il y a un problème ? je demande d'une voix trop aiguë pour faire naturelle.

-Tu as raté le croisement. Si tu continues sur cette route, on repart dans la montagne.

-Ah. Pardon. Je vais faire demi-tour. » je m'excuse.

Il n'y a bien qu'Hécate pour faire attention à où nous allons. Nina fixe Amos, les bras entourant son petit corps endormi comme pour le protéger d'une attaque imminente. Le bébé dort paisiblement dans les bras de sa gardienne. Tobias, quant à lui... Il fixe le paysage défilant par la fenêtre, silencieux comme une tombe. Il aborde son habituelle expression indéchiffrable, ce qui m'empêche de savoir ce qu'il a en tête. Est-ce qu'il est aussi troublé que moi, ou ce genre de violences faisait déjà partie de son quotidien de loup-garou ? Ne pas le savoir me chiffonne encore plus.

« Ethel ! Le croisement ! s'exclame Hécate.

-Quoi encore ?

-Tu t'es trompée de route à nouveau. »

Je regarde autour de moi. Nous avons regagné peu à peu la civilisation après être sorti des montagnes, et nous nous trouvons au cœur d'un petit bourg avec plusieurs pâtés de maisons neuves et quelques magasins. Zut alors. Je ne sais même pas où nous sommes. J'ai roulé si machinalement que l'on pourrait avoir atterri dans le fin fond du Connecticut, ça ne me surprendrait même pas.

Hécate m'observe dans le rétroviseur, puis fais les gros yeux. Je grimace. Elle ne doit pas être beaucoup plus vieille que moi, et pourtant, elle arrive à aborder les airs réprobateurs d'une femme dans la trentaine.

« Bon, je crois qu'on a tous besoin d'une pause. Il y a un diner juste là, on va aller manger un morceau pour midi. Gare-toi. »

Je soupire. Elle n'a pas tort. Je fais dévier la Chevrolet pour l'arrêter sur le parking, droit devant un vieux diner à l'américaine dont le néon vieillissant affiche fièrement Chez Nancy. Plus cliché, tu meurs. Plutôt crever que de manger dans une ruine pareille alors que je suis en pleine déprime.

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