Instinct Paternel

1 - 3 mai 1998

-T'as compris ce que tu dois faire, Dean ? Tu trouves ce loup-garou, tu le tues, puis tu viens me rendre ton rapport. C'est clair ?

-Oui, papa.

-Je te fais confiance sur ce coup là, gamin. Ne me le fais pas regretter.

John Winchester raccrocha le téléphone sans plus de cérémonie, laissant son fils aîné, du haut de ses 19 ans, décontenancé à l'autre bout du fil. Il n'était plus consterné par le ton brusque et un peu trop direct de son paternel depuis de nombreuses années, et pourtant il sentait son estomac se retourner et sa gorge se nouer à chacune de leurs conversations. C'était toujours ainsi en sa présence et Dean en était venu à la conclusion que ces symptômes démontraient seulement l'étendue de son dévouement envers son père. Sam ne cessait de prétendre que c'était par peur qu'il obéissait à ses moindres faits et gestes, mais le garçon l'envoyait bouler à chaque fois. Il était Dean Winchester, tout de même, et Dean Winchester n'avait peur de rien.

Le jeune homme raccrocha à son tour, puis se passa paresseusement la main dans ses courts cheveux châtains en poussant un soupir. Ses grandes prunelles vert pomme étudièrent un instant la minuscule chambre d'hôtel qu'il avait louée pour la semaine, puis il ferma nonchalamment les paupières. Son séjour à Beacon Hills s'annonçait incroyablement ennuyeux.

Son père l'avait envoyé dans cette petite ville de la Californie après avoir relevé un nombre important de victimes supposément tuées par des bêtes sauvages au courant des dernières semaines. Il ne faisait aucun doute qu'il avait affaire à un loup-garou et s'il se fiait aux derniers lycanthropes qu'il avait dénichés, sa mission ne risquait pas de s'avérer bien difficile. Il fallait dire qu'un tel monstre passait rarement inaperçu dans une aussi petite ville. Il suffisait de fouiller un tant soit peu dans les archives municipales pour trouver ce qu'on cherchait.

Malgré le degré de facilité de sa tâche, Dean ne devait néanmoins pas traîner. S'il voulait se retrouver dans les bonnes grâces de son paternel, il devait s'acquitter de son travail au plus vite et fournir un rapport convaincant, ce qui signifiait qu'il ne pouvait pas se permettre de s'attarder dans sa chambre d'hôtel. Il tourna les talons et sortit en vitesse à l'extérieur pour rejoindre sa voiture, une magnifique Dodge Challenger 1969 qu'il avait gagnée lors d'un tournoi de poker quelques mois auparavant. Elle n'avait peut-être pas aussi fière allure que la Chevrolet Impala 1967 que conduisait son père et à laquelle le garçon rêvait nuit et jour, mais l'aîné Winchester adorait son véhicule, ne serait-ce que pour le vrombissement du moteur lorsqu'il tournait la clef dans le contact. Sans oublier que les filles craquaient sur les hommes qui possédaient des voitures sport.

Son plan pour la journée était plutôt simple: les derniers articles de journaux qu'il avait lus sur les étranges attaques d'animaux sauvages spécifiaient tous que l'une des victimes avait miraculeusement survécu à la bête qui s'en était pris à elle. Il semblait donc tout indiqué que Dean aille l'interroger pour en apprendre davantage sur la créature qu'il se préparait à chasser.

Il roula donc en direction du Beacon Hills Memorial Hospital, où récupérait le témoin depuis quelques jours, et vérifia qu'il était bien présentable avant d'entrer dans l'établissement. Il comptait se faire passer pour un agent de la faune de la Californie , donc il avait dû dire adieu à son inséparable manteau de cuir le temps de son entretien avec la survivante et le troquer pour une chemise propre et une cravate. Il n'eut aucune difficulté à trouver la chambre de la patiente et à fouiller dans son dossier médical pour apprendre des informations personnelles à son sujet.

La rescapée s'appelait Jacinda Smith. Âgée de 65 ans, veuve, atteinte d'ostéoporose, elle avait tout l'air du type de dame à passer ses journées au fourneau à cuisiner son succulent sucre à la crème ou bien sa fameuse tarte aux pommes dont elle seule avait le secret. Autrement dit, l'aîné Winchester sentait qu'il allait bien aimer cette femme. Il cogna doucement contre la porte de la chambre et tourna lentement la poignée.