Instinct Paternel

53 - 8 octobre 1998

Deux mois. Cela faisait maintenant deux mois jour pour jour que Claudia avait vu Dean pour la dernière fois, et pourtant une éternité semblait avoir passé depuis le soir où John Winchester avait pointé un fusil contre sa tempe pour heurter son propre fils. Peut-être la jeune femme aurait-elle pu continuer à vaguement espérer que les choses finiraient par se rétablir et que Dean lui reviendrait miraculeusement pour élever avec elle l'enfant qui grandissait dans son ventre, mais depuis sa rencontre avec Missouri Moseley, elle n'avait plus aucun espoir auquel s'accrocher.

C'était donc pour cette raison qu'elle se tenait là, sur le toit du Beacon Hills Memorial Hospital, à contempler le vide qui se déployait juste devant elle. Il lui suffisait de faire un pas, d'avancer un seul et unique pied et la gravité s'occuperait de l'entraîner dans une chute qui s'avèrerait rien de moins que mortelle. La dernière chute de sa vie.

Au fond d'elle, Claudia savait très bien qu'elle n'oserait jamais sauter, peu importe à quel point elle était désespérée. Peu importait si ses parents lui avaient tourné le dos après avoir appris sa condition et qu'ils l'avaient jetée dehors lorsqu'elle avait catégoriquement refusé de donner le bébé en adoption après sa naissance. Peu importait si Chris avait dû repartir d'urgence pour Londres après que son père ait subitement pété les plombs à nouveau, la laissant ainsi seule et démunie dans ce monde hostile envers les futures mères monoparentales de dix-neuf ans à peine contre qui le destin semblait vouloir s'acharner. Elle n'allait pas sauter tout simplement parce que ce bébé, elle voulait le voir vivre. Elle voulait qu'il vive pour elle, pour Dean et pour cet amour bref mais ardent qu'ils avaient tous deux partagé.

Cela lui faisait néanmoins du bien d'avoir l'impression qu'elle avait le contrôle, pour une fois. Peut-être avait-elle un poids dans l'équation, finalement, qu'elle parviendrait à flouer le destin grâce à cette seule décision. Oui, juste pour prétendre qu'elle avait le contrôle sur sa propre vie, ça avait valu la peine de monter sur le toit de cet immeuble.

Tous les petits curieux qui l'observaient d'en bas du bâtiment semblaient toutefois penser autrement. De là où elle se tenait, la jeune femme avait l'impression que ce n'était que de petite fourmis soucieuses et agitées qui remuaient à ses pieds. Elle entendait à peine leurs cris de détresse et n'avait pas envie de s'en préoccuper. Elle voulait seulement profiter du moment, respirer à grandes goulées l'air frais du soir qui effleurait ses joues rougies par les larmes et sentir ses longs cheveux bruns voler au vent et chatouiller son cou.

Elle voulait qu'on la laisse tranquille, qu'on la laisse oublier le fait que sa vie était en train de tourner au cauchemar depuis le départ de Dean, mais il fallait croire que, une fois de plus, l'auditoire qui grouillait sous ses yeux ne voyait pas les choses du même œil. Elle le comprit lorsqu'elle entendit grincer la porte qui accédait au toit et qu'elle aperçut un jeune policier s'avancer doucement vers elle en encrant son regard dans le sien, les mains tendues dans sa direction.

-Madame, s'il vous plaît, éloignez-vous de la bordure. Je veux seulement discuter, rien que ça.

-Je ne veux pas discuter, répliqua Claudia en balayant d'un geste rageur les sillons de larmes qui lui marquaient les joues. Je veux seulement profiter de la vue.

Tandis qu'elle parlait, les yeux fixés sur l'horizon, le policier s'était approché silencieusement sans jamais poser de gestes brusques. Il s'arrêta à seulement quelques pas de sa cible et leva à son tour les yeux vers le panorama qui leur était servi. De là où ils se trouvaient, ils surplombaient toute la ville, qui s'étendait jusqu'à perte de vue à travers la semi-obscurité du soir, jusqu'à ce que les lumières des maisons se mélangent à l'éclat des étoiles. Il était impossible de confronter Claudia là-dessus : la vue était magnifique.