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Avril 2018

Daniela


  C'était déjà ma quatrième séance avec le Dr Klaus Dieter.

  On avait commencé un mois auparavant, et j'avais battu mon record de trois séances avec un psy avant de m'enfuir. J'étais presque fière de moi ; mais bon, peut-être avais-je battu le record parce qu'on avait strictement rien fait les trois séances précédentes. Enfin, pour rappel, le jour de notre rencontre, il m'avait demandé de lui raconter mon histoire dans les grandes lignes.

 Je lui avais donc envoyé un document texte sur lequel j'avais écrit grosso modo des choses sur Rubén, et ma vie après sa mort, et même sur Alessio. C'était quand même nettement plus simple à l'écrit, ce que Dieter avait facilement deviné.

Puis était venu le jour de notre seconde séance. Il m'avait serré la main, demandé de m'installer dans le feuteuil face au sien et posé une question sur Rubén.

Une seule.

« Pourquoi es-tu tellement en colère contre Rubén, Daniela ? »

  J'avais ouvert la bouche. Rien n'en était sorti. Alors je l'avais refermée. En fait, je n'avais pas envie de parler de ça. Même si je venais voir le Doc pour ça, il y allait fort dès le départ, estimais-je. Après trois minutes à se regarder en chiens de faïence, il avait ouvert un roman Western sous mes yeux et s'était mis à lire.

Cela m'avait surprise. Qu'il n'insiste pas, je veux dire.

  A la fin des cinquante minutes, il avait refermé son livre, m'avait serré la main de nouveau et j'étais sortie de son bureau, sans avoir prononcé un mot.

  Rebelote à la séance suivante.

« Que ressens-tu, Daniela, du fait d'être de retour pour une longue période là où tout s'est terminé avec Rubén ? »

  Le Doc Dieter voulait vraiment me faire parler, normal, c'était son boulot. Mais j'étais incapable de répondre. Je n'avais jamais su parler, de toute façon. J'étais pas du genre pipelette ; ça n'allait pas miraculeusement disparaître juste parce que je l'aimais bien. Du coup, il avait reprit son bouquin de cowboys. Il ne m'avait fait strictement aucun reproche. Il avait lu, tandis que je me traitais de tous les noms en mon for intérieur, et voilà. A la fin de la séance, il m'avait serré la main sans un mot et j'étais partie, sans un mot également.

C'était aussi compliqué que ce que j'avais redouté. Surtout qu'il n'insistait pas, celui-là, contrairement à tous les autres que j'avais fréquentés !

 Il semblait tout à fait indifférent à ma présence. Je savais qu'il ne l'était pas, bien sûr, mais ça me troublait néanmoins ; personne ne m'avait jamais traitée comme ça, encore moins un professionnel de la santé ! Je trouvais ça déstabilisant, franchement. Très énervant, aussi. J'étais censée l'ignorer, mais pas lui, merde !

  J'avais passé les demi-heures les plus ennuyeuses de ma vie à observer son bureau percé de grandes fenêtres, ses hauts rayonnages de livres et son tapis tissé à motifs qui égayait le sol.

  Ce jour-là, une matinée d'avril 2018, je posai le regard sur le Doc Dieter, assis dans son fauteuil noir à quelques mètres de là. Je me répète, mais c'était franchement un bel homme. La cinquantaine sexy, la mâchoire carrée et volontaire, le nez droit et le regard sûr, d'un marron pétillant. Il devait plaire à tout va, je n'en doutais pas. Pour le moment, il était occupé à feuilleter un magazine, les chevilles croisées, l'air très à son aise.

Le Solstice d'été (HB 2)Where stories live. Discover now