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La semaine passa à toute vitesse.

Guiomar et Escolinha travaillaient d'arrache-pied, main dans la main, pour la préparation du concert. Une distraction bienvenue, pour moi.

Paol me parlait à peine depuis qu'elle nous avait vus nous embrasser devant le portail, Lula et moi. Elle m'évitait, j'avais l'impression. Ca m'embêtait un peu, sans plus. Je comprenais assez qu'elle m'en veuille. De toute façon, moi-même, je me tenais un peu éloignée de Lula. Lequel Lula était débordé par tout ce qu'il nous restait à faire avant le concert, de toute façon.

Moi, j'avais la tête comme ça. J'étais préoccupée.

Je pensais beaucoup à Alessio. Beaucoup trop. A son rire. Au ton joueur de sa voix quand il m'avait demandé ce que je portais.

Je ne lui avais pas reparlé, cependant. Pour quoi faire ? Pas le courage. Pas la force.

Il m'avait brisé le cœur une fois, je ne pouvais pas le laisser recommencer.

J'allais mieux, je ne voulais pas rechuter. Maman avait raison. Je ne pouvais pas me le permettre. Il fallait que j'aille de l'avant.

Mais depuis qu'on avait discuté au téléphone, j'avais l'estomac noué. Il me manquait presque comme au premier jour. Sans parler du fait qu'il avait des rendez-vous avec des nanas.

Résultat, j'étais incapable de manger correctement. Je n'avais pas faim. J'avais jamais faim.

Je me forçais, néanmoins.

Ca passerait. C'était passé, la première fois.

Je comptais envoyer un message à Alessio après l'évènement pour lui dire comment ça s'était passé et ce que les gens avaient pensé de son affiche, mais c'est tout. C'était mieux comme ça. Franchement, ça me déprimait quand j'y pensais... du coup, j'essayais de ne pas y penser.

Mais comme je l'ai dit, je pensais beaucoup à Alessio, à cette période.

J'avais donné ses instructions à l'imprimeur, qui nous avait livré le lendemain nos centaines d'affiches et de flyers, toujours aussi réussies. Nous étions parties les distribuer avec Niki, à vélo, en riant et abordant tous les groupes de jeunes qu'on croisait. Tout le monde semblait tenté, ce qui était une excellente chose.

Le concert était le jeudi 21 juin, jour du Solstice d'été, fête de la musique. Je savais que du monde viendrait. J'avais demandé à mes copines de Rio d'inviter tout leur entourage, et à Maman de convier tous ses modèles, et leurs amis, et les amis de leurs amis, etc. Lula avait fait la même chose de son côté. Il connaissait tout le monde à Rio, aussi attendions-nous pas moins de trois cent personnes pour le concert.

Le jour J, je me levai tôt, pris une douche et m'habillai rapidement. J'étais en train de poser mon mascara lorsque Paol entra dans la salle de bains en brossant ses longs cheveux qui ondulaient en vagues souples. Elle portait une robe en jean, tout simple, qui mettait en valeur son décolleté généreux.

« Salut, D. T'as imprimé les badges du staff ? me demanda-t-elle.

─ Heu, ouais, hier soir. Ils sont sur mon bureau, à l'asso.

─ J'en ai besoin pour les membres du groupe. Tu sais, comme leur avion arrive à peu près à la même heure que celui de tonton Tomas, j'ai pensé qu'on pouvait aller à l'aéroport ensemble.

─ Ouais, d'accord. Après le déjeuner.

─ Okay ».

Paol me jeta un regard en coin.

« T'es belle », dit-elle doucement, ce qui me surprit.

Elle était plutôt froide avec moi depuis le baiser qu'elle nous avait vus échanger, Lula et moi. Je ne m'attendais pas à des compliments. Peut-être qu'elle essayait de faire amende honorable d'avoir contacté Alessio pour l'affiche ?

« Merci, dis-je. C'est gentil. Je te trouve jolie dans cette robe, moi aussi.

─ Putain mais tes cils sont magnifiques ce matin ! Hé, c'est le Dior Show, que t'utilises, là ?

─ Même pas. Better than sex. C'est celui de Maman, je l'ai pris dans sa trousse.

─ Ouais, bah il a l'air de te faire des cils de fou. Merci ! »

Elle me rafla le mascara et s'éclipsa en souriant. Haussant les épaules, je passai les doigts entre mes boucles pour les faire bouffer et sortis de la salle de bains à mon tour. Je croisai Maman sur le palier de l'étage. Elle était en tailleur anthracite et chignon bas sur la nuque, prête à partir pour aller au travail. Je l'embrassai sur la joue.

« On se voit ce soir au concert, alors, M'man.

─ Oui, ma chérie. A ce soir. Bon courage à vous !

─ Merci, toi aussi. Au fait ! Tu seras cool avec Papa, hein ? J'ai pas envie de vous voir vous disputer ».

En guise de réponse, elle leva les yeux au ciel, l'air de dire « tu connais ton père et je te garantis rien ».

Bon. J'aurais essayé, au moins.


**


A l'association, il y avait pas mal d'agitation. On aurait un peu dit une ruche. Les bénévoles avaient presque tous été réquisitionnés pour finir le chargement du matériel depuis Escolinha jusqu'au Palacio Brilhante.

A midi, je mangeai une salade sur le pouce avec Lula, Paol et Niki.

« Bon, il faut que j'aille chercher mon père, annonçai-je en finissant ma petite bouteille d'eau minérale. Tu viens, Paol ?

─ Oui. Joaquim, tu nous accompagnes ? Je veux pas attendre les artistes toute seule ».

Les artistes venaient de Sao Paolo par le vol de 15 heures. Celui de Papa en provenance de Paris atterrissait à 14h30.

Paol prit les badges nominatifs et le dossier destiné aux membres du groupe et sauta dans la voiture avec Joaquim et moi.

Il nous fallut quarante-cinq minutes pour rallier l'aéroport de Rio de Janeiro Galeão. Paol babillait joyeusement à mon côté. Joaquim, comme à son habitude, était silencieux. Il ne parlait jamais beaucoup. Une qualité, d'après moi.

« Tu peux te poser dans un coin pendant qu'on attend mon père, dis-je à Joaquim, qui n'avait pas arrêté ces derniers jours, alors qu'on entrait dans l'aéroport.

─ D'accord ».

Il s'assit sur une chaise près de l'entrée, tandis que Paol et moi nous dirigions vers la barrière devant les arrivées. Paol semblait très excitée.

« Qu'est-ce que t'as ? lui lançai-je, un peu étonnée.

─ Ben rien. J'ai hâte de voir tonton Tomas. Ca fait mille ans.

─ A peine six mois », corrigeai-je en levant les yeux au ciel.

Je m'achetai un café au distributeur, avant de vérifier l'heure à ma montre. Le 777 d'Air France avait atterri depuis une bonne demi heure. Papa n'allait pas tarder. Moi aussi, j'étais pressée de le voir. Je ne l'avais pas vu depuis la conférence du mois de décembre.

Tout à coup, les portes s'ouvrirent et plusieurs groupes de voyageurs firent leur entrée, poussant ou tirant leurs valises et leurs sacs.

Je repérai mon Papa presque tout de suite, et levai la main pour lui faire signe, tout en sautillant sur place. Il ne m'avait pas encore vue ; il parlait à quelqu'un de tout mince et de plus grand juste à côté de lui.

Je frôlai la crise cardiaque en reconnaissant Alessio, un sac de voyage noir négligemment glissé à l'épaule.

Le Solstice d'été (HB 2)Where stories live. Discover now