Tome 2 - Chapitre 23 (suite)

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À la nuit tombée, une cigarette à la bouche, j'enfourne dans mes poches balles et cartouches puis je prends soin de vérifier à plusieurs reprises que mes deux fusils et mon pistolet sont bien chargés. Je sens que je perds le contrôle de la situation depuis que j'ai parlé au téléphone avec un homme du Requin. Bien que son ultimatum ne m'ait pas impressionné, je ne suis pas certain que ce genre d'individu ait les mêmes limites que moi. Pourtant, j'hésite encore entre accepter, histoire de me faire un peu de blé en attendant de toucher l'héritage et ne pas céder au chantage que mon ancien employeur cherche à me faire. Je suis paré à décrocher, mais j'ai besoin de trouver une porte de sortie que j'espère découvrir dès ce soir.

Je me rends compte que j'ai presque perdu l'habitude du risque et sursaute lorsque Tito frappe avant d'entrer.

— Mes chiens ne m'ont pas prévenu ! lancé-je surpris.

— Je sais les amadouer... T'es prêt ?

Je glisse mon pistolet dans la ceinture de mon pantalon et lui fais signe de sortir avant de le suivre jusqu'à sa voiture où m'attendent Paco et Yankee.

— On n'y va que tous les quatre ? m'interroge Paco. T'es sûr que c'est prudent ?

— On n'a jamais eu de problème avec le Requin...

J'essaie de le rassurer, pourtant au fond de moi, je sais pertinemment que c'est faux. Je devine qu'il se trame quelque chose de différent. L'homme au téléphone a été formel, le Requin désire me passer une nouvelle commande et il ne me laisse pas le choix d'accepter ou non ce marché.

Tandis que Tito s'installe au volant et démarre, je chasse une fois de plus l'appréhension qui m'envahit. J'ai toujours réussi à nous sortir des pires situations et je serai bien assez clair ce soir pour que le Requin abandonne tout projet sur le long terme pour nous.

Durant le chemin jusqu'à mon rendez-vous, je compte le temps qu'il me reste avant de toucher notre part d'héritage. Le paquet de fric que j'avais planqué sous ma caravane risque d'être un peu juste pour pouvoir patienter.

Une fois que nous aurons perçu notre legs, je me chargerai des placements, et j'espère pouvoir me ranger. Pourquoi pas me lancer dans l'élevage des étalons ? Je suis certain que cela conviendrait à mes cousins, les chevaux de course, les compétitions, les paris... J'y songe de plus en plus. Finalement après toutes ces expérimentations folles et risquées, une existence bien ordonnée et paisible me plairait bien. J'apprends vite et j'ai les bases, entre ma vie au haras et mon passage sur le ranch, je pense réellement pouvoir m'établir et investir dans un domaine. Un métier honnête et honorable, c'est peut-être un cadeau que voulait me faire Loupapé avant de partir. Me donner une dernière chance, la chance de me racheter.

Lorsque nous pénétrons dans l'immense hangar isolé, j'ai un moment d'hésitation. Et si c'était le rendez-vous de trop ? Ai-je bien fait d'accepter de venir ? N'y avait-il pas d'autre issue ?

Tito gare sa voiture au centre du bâtiment désaffecté et lugubre, prêt à fuir en cas d'alerte. Il n'éteint pas les phares et en ouvrant ma fenêtre, je découvre que l'endroit est silencieux et désert.

— On est en avance ou quoi ? s'exaspère Paco.

Je jette un coup d'œil à ma montre et constate que nous sommes à l'heure. Je décide de sortir de la voiture et m'allume une cigarette pour patienter. Mes complices font de même.

— C'est pas comme d'habitude, Scar ! Je le sens pas ! insiste Paco. On devrait s'en aller.

— Tu vas pas nous la faire comme Picouly, se moque Tito en s'éloignant de nous pour se soulager contre un mur.

Le bâtiment est grand, profond et dans un état déplorable. Un trou dans la toiture en tôles, au travers duquel j'entrevois le ciel étoilé, m'indique qu'il est sans aucun doute sur le point de s'effondrer. Ce qui m'inquiète le plus est qu'il n'y a que deux sorties possibles. Celle par laquelle nous sommes arrivés et une à l'opposé. Nous sommes totalement à découvert, je ne vois rien pour nous abriter ou nous cacher. Nous sommes faits comme de rats si cela tourne mal.

Nous finissons par percevoir un moteur qui se rapproche, puis aussitôt des phares qui s'avancent droit sur nous. Ensemble nous nous précipitons pour saisir nos armes et nous mettre à couvert derrière la voiture.

Un premier véhicule passe à proximité de nous, suivi d'un deuxième et encore un troisième, pour se garer un peu plus loin, dans un coin sombre.

— J'y vais ! dis-je en prenant un de mes fusils à la main.

— On t'accompagne ! ajoute Tito.

— Seul ! précisé-je.

Cela a toujours été une condition du Requin de me recevoir en solo.

Avec Tito, nous nous dévisageons quelques instants, comme si nous sentions tous que ce soir était différent, mais que nous nous voilions la face pour ne pas nous inquiéter les uns les autres, parce que nous sommes des hommes, des gitans et que nous n'avons pas peur du danger. Nous avons la certitude d'être plus forts, plus malins et rien ne peut nous arrêter. Pourtant les jeunes adultes insouciants que nous avions été ont disparu pour laisser place à des gars conscients du risque dans lequel ils s'engagent.

— Abritez-vous et couvrez-moi !

Caché derrière les portes de la voiture, chacun braque son fusil dans la même direction, celle que je m'apprête à prendre.

Je jette un dernier coup d'œil vers mes frères et rassure d'abord Paco qui se mord l'intérieur de la lèvre :

— Tout va bien se passer ! dis-je à haute voix, comme pour me convaincre moi-même.

Puis j'ordonne à Tito de se préparer à reprendre le volant avant de lui faire un ultime clin d'œil.

Lorsque je leur tourne le dos, je ne sais pas dans quoi je m'embarque, mais le cœur palpitant, j'avance d'un pas ferme et décidé vers la berline noire aux vitres teintées. La porte arrière s'ouvre et un garde du corps descend.

Je connais la procédure, je lui tends mon fusil, mon pistolet et le couteau de mon père que j'ai encore au fond de ma poche, puis je me tourne vers la voiture de Tito pour me laisser fouiller. À une cinquantaine de mètres, mon frère a coupé ses phares et je ne distingue que la lumière orange de quelqu'un qui tire sur sa cigarette. Tandis que le boloss tâtonne mes mollets, un vent frais se lève et fait claquer des planches à moitié arrachées d'une cloison.

Lorsque le grand black a fini, il me demande de ne plus bouger. Je suis surpris et tente de me retourner, car d'habitude c'est à ce moment-là que je monte à l'arrière de la voiture. Mais le garde du corps se fâche et me menace avec son arme.

En continuant de fixer les ombres de mes frères, j'essaie de garder une contenance et de ne pas montrer mon inquiétude, lorsque, la voix tremblante, je les interroge sur ce qu'ils attendent de moi.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant