Tome 2 - Chapitre 7 (suite)

335 44 26
                                    

Je claque la porte de ma caravane derrière Belinda, comme si la laisser rentrer lâchement chez elle me débarrassait de toute responsabilité, me lavait de toute implication dans cette paternité que je ne désire pas. Je suis furieux contre la future mère de m'imposer ce marmot qui va pousser sous mes yeux au sein du camp et me rappeler chaque jour qu'il représente une partie de moi.

Je donne un grand coup de poing dans la cloison de ma chambre, ma main traverse le mur sous l'impulsion.

— Merde, fais chier !

Mes chiots se mettent à couiner dans la petite pièce fermée, mais je n'ai pas le courage de les sortir, je m'effondre sur le sol, contrarié. Tandis que je balaie de mon âme toute culpabilité, je laisse Belinda voguer à son propre sort. Ce rejeton n'est qu'un obstacle à mon ascension, à ma liberté, à ma vie...

***

Ce matin dans le chalet, les discussions tournent toutes autour de Belinda et de sa grossesse qu'elle a rendue officielle. Les naissances sont toujours l'objet de grande joie. Les enfants sont rois sur le camp alors quand il s'agit du prochain chef qui annonce qu'il va être père, c'est l'occasion d'une future fête immense.

Je me sers un café et ne m'attarde pas dans la pièce, je préfère le boire tranquillement dans un coin en fumant une cigarette, loin des commérages. Je retrouve Tito qui avale une tranche de brioche en guise de petit-déjeuner et profite d'un rayon de soleil. Contrairement à lui, je n'arrive pas à manger le matin.

— Bastian veut un garçon pour la continuité de leur lignée, précise mon frère en s'étirant.

Je reste hermétique à sa remarque, me gardant bien de commenter. Je n'ai aucun regret en ce qui concerne Belinda, j'ai pris ma décision cette nuit et je ne reviendrai plus dessus. Je ne l'aime pas et à aucun moment, je ne me suis projeté vivre avec elle. Me dire que Bastian élèvera mon gosse me fait même sourire aujourd'hui, ce gosse sera éduqué en petit prince et savoir qu'il est le fruit d'un adultère me rend sournoisement heureux. Je ne pouvais pas espérer mieux et j'imagine déjà le moment où je choisirai de dévoiler cette aventure. La cruauté de ma vengeance est à la hauteur de mes blessures. Je veux qu'il s'attache à l'enfant, qu'il l'aime, que le marmot soit la prunelle de ses yeux pour qu'un jour je décide de le lui reprendre.

La voiture de Yankee, qui arrive à vive allure et s'arrête à notre niveau, me sort de mes rêves de revanches. Il apparaît paniqué et complètement paumé quand il nous lance :

— Picouly a perdu les eaux, on part à la maternité !

Je me penche pour jeter un coup d'œil dans le véhicule et découvre à côté de mon beau-frère Picouly à demi allongée sur le siège passager en train de se tenir le ventre.

— Tu aimerais qu'on vienne ? propose mon frère.

Il s'appuie sur le montant de la voiture à côté de moi pour jauger l'état de santé de notre sœur tandis que je me demande bien à quoi l'on va servir là-bas. À ma grande surprise, Picouly accepte :

— Vous attendrez avec Yankee, il veut pas assister !

J'avais prévu d'autres plans pour la journée, je devais m'entretenir avec le propriétaire du champ voisin pour discuter du prix. J'ai déjà en tête une multitude d'arguments pour le faire baisser au maximum. Vendre son bien est toujours délicat quand une communauté de gitans est établie juste à côté, c'est une chance pour lui que je lui fasse une offre. Tant pis, je le rencontrerai plus tard, la famille avant tout, Picouly nous veut avec elle et je me vois mal le lui refuser.

Le petit Dylan a été confié à la femme de Paco qui décide pour l'occasion de se joindre à nous. Nous partons tous les trois, entre frères, accueillir de bébé de notre sœur. Tito charge un pack de bières et une bouteille de whisky dans le coffre :

— Je fais les réserves, faut fêter ça !

Unis pour le meilleur comme pour le pire, nous fonçons vers la maternité.

Comme j'aurai pu le prévoir, notre arrivée n'est pas vue d'un bon œil dans le modeste hôpital campagnard. Pourtant, le personnel ne nous met pas dehors et nous invite à patienter dans la salle d'attente. Ils sont certainement un peu effrayés par les gitans et notre position nous donne l'opportunité d'abuser de certains points.

Tito retourne chercher le pack de bières que nous picolons au sein de l'établissement. Rapidement, Yankee nous rejoint.

— Elle est dans la salle d'accouchement, plus qu'à poireauter !

Je comprends tellement qu'il ne souhaite pas assister à cela. C'est assez traumatisant de voir l'être que l'on aime hurler de douleur et sortir un morceau de trois kilos par les voies intimes. Je repense aussitôt à Belinda qui, dans quelques mois, sera dans la même position que ma sœur. Bastian sera ici à la mienne. Moi, je serai loin, sans responsabilité de quoi que ce soit. Une fois de plus, je me convaincs que j'ai fait le bon choix.

Yankee qui ne veut pas assister, ne résiste pas à faire les aller-retour pour nous tenir au courant. Il remonte le couloir vide et passe sa tête dans la salle des médecins pour demander où en est le travail puis il réapparaît en traînant des pieds, impatient que cela se termine.

— Toujours pas !

Chaque fois qu'il revient, il s'enfile une ou deux bières et sort fumer une cigarette, il est de plus en plus stressé et je comprends maintenant pourquoi Picouly souhaitait notre présence. Elle est bien plus forte que nous tous réunis, abrutis par l'alcool et ne sachant pas comment passer le temps.

Vers treize heures, Bastian débarque avec trois cousins :

— La Belinda m'envoie avec le casse-croûte et j'ai pris des bouteilles de vin...

À même le parking, Bastian ouvre le coffre et extirpe un panier en osier. Je ne vois pas d'un bon œil sa présence, je n'aime pas l'avoir dans mes pattes. Une fois saoul, j'ai toujours peur que mes frères s'épanchent sur nos affaires en cours. Je leur fais pleinement confiance, mais cela m'inquiète quand même.

Malgré tout l'ambiance est détendue et autour de cette naissance chacun fait une pause et met de côté sa haine.

Est-ce le calme avant la tempête ?

— Je remonte voir où ça en est ! dit Yankee en se dirigeant vers l'entrée.

Son allure habituellement décontractée semble soudain si maladroite, elle reflète toute l'anxiété qu'il ressent.

Tandis que nous plaisantons en mangeant l'heure tourne.

Jusqu'à ce que Yankee revienne avec précipitation !

— Ça y est, elle est née !

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant