Chapitre 24 (suite)

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Elle ne met pas longtemps à descendre et pousse la porte avec force. En me découvrant, elle émet un cri horrifié. À travers mes paupières que j'ai du mal à ouvrir, je la vois porter ses mains sur sa bouche pour se retenir de hurler davantage. Je dois vraiment avoir une sale gueule... Bien que je sois dur à la souffrance, ma tête bourdonne et tout mon corps me lance. Je ne parviens pas à articuler, ma mâchoire est douloureuse alors je lui tends mes clefs en lui indiquant ma bagnole.

— Diabla... Diabla !

Je murmure le nom de ma chienne, comme si Agnès pouvait encore faire un miracle et la ramener à la vie. Cette dernière comprend que l'heure est grave, qu'il est arrivé quelque chose de terrible. Elle m'arrache mon trousseau et se précipite vers la voiture. J'entends la portière claquer puis, quelques minutes plus tard, elle revient vers moi. Elle s'agenouille et approche son visage du mien.

— Oscar, je suis désolée, tellement désolée ! Elle est morte...

Ses yeux se remplissent de larmes et le temps s'arrête. Nous restons quelques instants ainsi, immobiles, perdus dans le chagrin. La réalité me saute à la figure, je comprends que plus rien ne sera jamais pareil. Diabla n'est plus. Elle emporte tant de choses avec elle. Mon enfance, mon adolescence, mes premiers pas au terrain, tous les bons moments avec Agnès, la meilleure période de ma vie...

— On ne peut pas rester là ! finit-elle par dire. Je vais garer ta voiture ! Bouge pas !

Où pourrais-je aller ? J'ai si mal partout que je ne peux plus faire un geste. Je ne sais même pas comment j'ai pu arriver jusqu'ici. Agnès me laisse à nouveau, puis revient très vite.

— Oscar, je dois appeler un médecin ou t'emmener aux urgences. Tu dois porter plainte !

Je secoue la tête de manière négative. Il n'en est pas question. Je ne suis pas une balance, les choses se régleront en face à face, au moment venu.

— Oscar ! Il faut te soigner...

— Tu peux le faire !

— Je suis élève en école de vétérinaire, pas médecin...

Je ne réponds pas, ma décision est prise, cette histoire est loin d'être terminée, au contraire, il ne s'agit que du commencement. Il n'est pas question de mêler les flics à tout ça.

— Aide-moi à me lever...

— D'accord ! On va monter chez moi que je te vois à la lumière.

Je m'accroche à elle avec ma main gauche sanguinolente et je m'appuie au mur avec mon autre bras. Tant bien que mal, j'arrive à me mettre debout. Agnès déverrouille la porte et me soutient, elle me hisse dans l'ascenseur.

Une fois dans son appartement, elle me dirige dans sa chambre où je m'effondre sur son lit.

— T'as de vilaines plaies, Oscar ! Il faut recoudre ta main gauche et ton arcade.

Je grogne affirmativement pour qu'elle fasse comme elle peut. Je veux juste dormir. Ma tête bourdonne encore beaucoup trop.

— Je vais te donner des antalgiques pour calmer la douleur.

Je sens Agnès tourner et virer autour du lit, poser de la glace sur mes paupières, me piquer, me panser, frotter avec délicatesse certaines blessures. Je ne bronche pas, même quand ça brûle ou que cela fait mal. Je serre les dents, j'ai confiance en elle. Je finis même par m'endormir lorsque la douleur cesse de me tirailler.

À mon réveil, je la trouve à côté de moi, pensive, le regard dans le vide. Je ne sais pas par quel miracle, je souffre moins alors, je lui demande si ça va.

— Oui et toi ?

— J'ai pratiquement plus mal...

— Tu as dormi presque trois jours... Une amie en école d'infirmière est venue m'aider, elle t'a fait une piqûre pour te soulager... Tu étais trop agité !

La lumière qui filtre au travers des rideaux tirés m'aveugle légèrement. J'ai chaud, je baisse les draps et découvre qu'elle m'a déshabillé.

— J'avais peur que tu aies pris un sale coup sur le corps. J'étais vraiment inquiète...

Je hausse les épaules pour lui faire signe qu'il n'y a pas de problème.

— Tu veux manger un truc ?

Je n'ai pas faim, j'ai terriblement envie de fumer. Je jette un œil sur la table de nuit à la recherche de mes cigarettes.

— Mes clopes ?

— Je te les attrape, mais après tu manges...

J'approuve d'un geste et tente de me redresser. Je me sens faible et ma tête tourne lorsque je m'assois, quelques douleurs se réveillent.

Agnès me tend mon paquet et je réalise que sans elle, je ne sais pas ce que j'aurais fait. Je suis dans un état pitoyable et pourtant être avec elle, dans son lit me remplit de joie.

— Merci...

Cela vient du cœur. J'aimerais la serrer contre moi, la prendre dans mes bras, respirer son odeur, mais j'en suis incapable. Je peux à peine bouger.

— De rien !

— Non, mais merci, de ne pas m'avoir rejeté...

Elle s'assoit sur le bord du lit et soupire.

— Écoute Oscar, je dois te dire que j'ai emmené Diabla. Je ne voulais pas la faire incinérer. Je sais que tu y tenais tellement...

Je n'ai pas la force de pleurer. L'image de ma chienne me remplit de rage. Je me souviens sa danse de la joie quand elle me voyait, son regard admiratif, sa fidélité.

— Elle est revenue au haras. Loupapé l'a enterrée, dans un petit carré de verdure, pas loin de là où elle est née.

Lorsqu'Agnès se retourne, les larmes coulent sur ses joues. Mon cœur est déchiré, il saigne de la découvrir bouleversée, de savoir que Diabla est morte.

— Dans ton sommeil, tu as dit que tu voulais tuer Hubert... C'est lui qui a fait ça, pas vrai ?

Je valide d'un signe de tête. Agnès baisse les yeux et s'allonge contre moi. Nous restons ainsi, silencieux durant des heures interminables. Nos corps se touchent à peine, mais nos âmes se trouvent paisiblement. Agnès enlace les doigts de ma main indemne.

Puis, elle se redresse et me dit :

— Écoute Oscar, j'ai bien réfléchi ! Il faut que tu arrêtes tout ça. Tu aurais pu mourir. Diabla, c'est un avertissement... Tu vas te perdre à force, et je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose. Hubert est une erreur, une grosse erreur pour moi.

Je serre les poings en me souvenant des mains d'Hubert sur le genou d'Agnès lors du dîner au restaurant et je murmure avec amertume :

— Pourtant tu étais sur le point de te marier...

— C'était un malentendu ! Je me suis laissé influencer par mon père. Tu te rappelles de ta bagarre au collège ? Mon père a supplié les parents d'Hubert de ne pas porter plainte contre toi. Ils ont accepté par amitié pour ma famille. Bien entendu, ce n'était pas gratuit, il y avait une condition. Hubert me désirait, me voulait ! Nous étions jeunes mais il n'avait qu'une idée en tête : que je lui appartienne. J'ai été obligée de passer du temps avec lui, de le fréquenter. Mon père m'y a plus que tout encouragé, je n'avais pas le choix, j'étais prise au piège. J'ai dû faire beaucoup d'efforts pour le supporter lui et sa bande d'amis imbuvables. Sous ses éternelles menaces de te réduire à néant, j'ai cédé à toutes ses demandes. Lorsqu'il m'a invité au restaurant, je ne connaissais pas ses intentions, je ne savais pas que tu serais présent...

Je tente de l'interrompre, mais, elle met son index sur ma bouche et continue :

— S'il te plaît, laisse-moi finir ! On peut tout arrêter ensemble. Tout quitter... Il y a des haras partout en Espagne, au Portugal, en Italie. On pourrait travailler dans un ranch aux États-Unis... J'ai de l'argent de côté !

— J'ai pas mal de fric aussi... Mais tes études ?

— Je veux être avec toi, il n'y a que ça qui compte ! Oscar, je t'aime, je t'ai toujours aimé !

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant