Chapitre 6

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Chapitre 6

Le jour n'est pas encore levé, mais je suis certain de ne pas avoir suffisamment dormi alors je refuse d'ouvrir les yeux pour le vérifier. Je préfère enfouir ma tête sous l'oreiller afin de ne plus entendre Tito qui respire trop fort. Il m'a déjà réveillé quand il s'est couché un peu plus tôt, complètement saoul, tandis que j'avais mis du temps à trouver le sommeil à cause des bruits de la fête. Je veux dormir dans le calme sous le chant lointain des oiseaux qui s'éveillent et sous le murmure des feuilles bercées par le vent léger du petit matin. La fenêtre ouverte, la musique a enfin cessé et je profite d'un filet d'air frais qui chatouille mon torse nu.

— J'te l'avais dit et tu m'as pas écouté ! Maintenant, on va tous prendre pour ça !

La grosse voix pâteuse de mon oncle me tire de mon sommeil pour de bon. J'écrase le coussin un peu plus fort contre mes tympans, mais rien n'y fait, je ne peux pas lutter contre la dispute qui se déroule à l'extérieur. Les excès de la nuit semblent être encore présents sur le camp. Je soupire de désolation et balance l'oreiller par terre puis, je m'étire en poussant mes pieds dans la cloison de la caravane qui s'incline sous ma force. Je lâche un râle d'exaspération qui ne perturbe pas le moins du monde mon frère qui ronfle de plus belle.

— C'est comme pour les petits, tu les as ramenés là sans que j'te le dise. J'te l'avais pourtant bien dit !

Lorsque je comprends qu'il parle de Tito et moi, je me lève d'un bond. Je me cogne au lit juste au-dessus, pile sur ma tâche de naissance. Cet endroit a toujours été plus sensible. Je grimace sous l'effet de la douleur et me frotte le front avec ma main blessé. Les chairs commencent à peine à repousser et la peau tire un peu, mais je n'ai pas mal. Je cherche un pantalon à enfiler parmi le tas de fringues empilées dans la minuscule chambre et mets le premier bas de jogging que je trouve. Pour le moment, je n'ai que les vêtements que Paco accepte de me prêter, encore une chose de plus qui m'exaspère, je n'ai même pas mes propres habits, j'ai hâte d'ailler les récupérer au haras ! D'ailleurs, je réfléchis à y retourner pour de bon. En dehors du fait que je suis bien bien sûr heureux d'avoir revu Paco et Picouly, je dois reconnaître qu'ils ne remplacent pas mes parents adoptifs, Agnès et mon ancienne vie. Je me languis du domaine.

— Tu m'avais dit d'attendre, mais ça fait déjà sept ans ! Sept ans qu'ils sont partis, sept ans que j'attends ! se défend Paco.

— C'est moi qui décide qui revient dans le terrain, je suis le chef !

Mon sang ne fait qu'un tour quand je réalise que la fureur de Loran tombe sur Paco. Sous l'effet d'un choc brutal, la caravane se met à trembler. Une bouteille se brise en mille morceaux sur le plancher. J'ouvre la porte de la chambre et jette un coup d'œil par la fenêtre du salon sans me montrer. Mon oncle vient d'éclater sa boisson préférée dans la querelle et menace mon frère avec le tesson. Ils sont tous les deux de profil : Loran, son gros ventre en avant serré dans un T-shirt poisseux trop court pour cacher son nombril, le regard vitreux et un cigare coincé à la commissure de ses lèvres ; Paco, pieds nus, débraillé suite à sa nuit mouvementée, dans son treillis de chasse, et les yeux dans le vague. Ils sont tellement pris dans leur affrontement d'ivrognes qu'ils ne me prêtent aucune attention.

D'un coup, la peur que Loran puisse blesser mon aîné me tourmente. Je comprends que Paco a bravé l'autorité du chef pour venir nous chercher et qu'il va payer pour ça. J'ai envie de le défendre comme j'aurais pu faire avec Agnès, mais en beaucoup plus puissant. Ce lien qui m'unit à Paco se réveille sans prévenir, face à la déferlante de rage de mon oncle.

Il semble terrifié alors que les yeux de Loran sortent de leurs orbites. Le vieux gitan, aux traits qui se déforment sous la colère, bouscule mon frère en lui tapant dans l'épaule. Je cherche autour de moi quelque chose pour intervenir et le soutenir. Mon cœur bat à cent à l'heure, je savais que je ne pouvais pas avoir confiance en cet individu. Je ne trouve pas mon couteau sur moi, il est dans un autre pantalon, au milieu du fouillis de la chambre. Je trépigne d'impatience et tourne avec désespoir en rond dans la caravane sans rien dénicher. Je veux aider Paco, je dois le préserver de l'homme qui pense tout contrôler. Les liens du sang sont plus puissants. J'ai beau refuser que mes frères et sœur reviennent dans mon existence, je sens leurs forces et leurs présences en moi. Paco est mon frère.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant