Chapitre 4 (suite)

1.4K 157 115
                                    

***

Paco enferme les deux gitans qui l'accompagnent à l'arrière de la fourgonnette et s'installe au volant. Sans boucler sa ceinture, il démarre dans un dérapage exagéré qui fait rire Tito tandis que je me cramponne avec ma main valide à la poignée au-dessus de ma tête. Il roule vite et de manière imprudente, ne prenant pas la peine de ralentir dans les virages. Il nous indique en rigolant qu'il n'a pas peur des Schmitts, encore moins lorsqu'il fait nuit !

Inquiet, je l'observe du coin de l'œil. Malgré la visière de sa casquette qui masque son front, il a le même profil que Tito, ce nez plutôt fin et équilibré, ses lèvres épaisses et ses yeux noirs malicieux, la barbe en plus. Je comprends qu'il est aussi nerveux que moi quand il augmente le son de la radio où passe une musique techno. Les basses résonnent dans mon estomac vide alors que Paco tapote en rythme sur le volant. Je n'ose pas parler et pourtant, tellement de questions me submergent. Ai-je pris la bonne décision, ne me suis-je pas précipité et surtout, pourrais-je faire marche arrière ? La peur au ventre, je sens que rien ne sera jamais plus comme avant, ma vie vient d'embrasser un nouveau tournant. Je ne sais pas où j'en suis ni où je vais, mais j'espère avoir fait le meilleur choix.

Je m'attendais à de longues heures de route, mais à ma grande surprise, en moins de quinze minutes, nous sommes déjà arrivés. Quand je pense que pendant toutes ces années les restes de ce qui me fait office de famille étaient si proches, j'aurais pu essayer de m'y rendre plus tôt. Je me demande bien si Paco savait que nous étions élevés à seulement quelques kilomètres d'eux. Celui-ci emprunte un chemin cahoteux en lisière du bois que je reconnais malgré la nuit. Sous les à-coups du fourgon bringuebalant, tout me revient en mémoire : l'ombre du gros chêne, la haie de ronces où je mangeais les mûres, les fossés que je sautais pour aller à la rencontre de mon père qui rentrait de la chasse. En découvrant les éclairages des nombreuses caravanes, des souvenirs se réveillent. Je retrouve le terrain tel que je l'ai laissé, il y a plusieurs années. Mon cœur s'emballe à cause de mon retour, pourtant je ne vois pas grand-chose. J'écarquille les yeux et cherche à me repérer.

J'ai la sensation que c'est toujours le chaos complet sur le campement. Fidèle à ma mémoire qui revient peu à peu, je redécouvre le grand pré rempli des minuscules habitations qui sont disposées de manière asymétrique. J'ai l'impression qu'elles ont poussé dans la forêt, sous les pins et les chênes, comme des champignons. Un peu plus loin, vers le fond, je me souviens que des épaves de voitures étaient abandonnées et nous adorions y jouer. C'est le contraire du haras où tout est aligné et impeccable, chaque emplacement bien défini. Les lumières des minuscules habitacles et les petits chemins lugubres donnent une ambiance inhospitalière. Submergé par l'émotion de mon retour, je tremble de froid. J'avais laissé ici l'âme de mes parents et je sens soudain leur souffle qui m'enrobe, comme s'ils étaient présents dans l'atmosphère.

Paco se gare et libère les deux adultes à l'arrière avant de nous les présenter rapidement, sous la lueur des phares encore allumés :

— Ça, c'est Yankee, l'homme de Picouly. Vous allez la voir demain ! Elle a eu son petit et elle va sortir de la maternité. Et ça, c'est mon cousin, le Bastian.

J'accuse avec inquiétude cette annonce. Je m'étais imaginé retrouver mon frère et ma sœur inchangés, tels qu'ils étaient quand je les ai quittés, mais je me suis trompé, plus rien ne sera comme avant. L'affection particulière que m'accordait Picouly sera désormais différente, je n'avais pas pensé qu'elle serait une femme, qu'elle pourrait avoir mari et enfant. J'ai un neveu, je ne suis plus un gosse, le petit dernier de la fratrie qu'elle surprotégeait. Une pointe de jalousie m'envahit.

Les deux gars s'avancent vers nous pour nous embrasser. Tito se laisse faire, mais pas moi. Je recule d'un pas en jetant un coup d'œil suspicieux vers mon cousin. Si peu de temps en sa présence et pourtant, je sens au fond de moi que quelque chose cloche et je ressens le besoin de me méfier. Ses yeux me fuient et je n'aime pas les gens qui ne me regardent pas avec franchise.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant