Tome 2 - Chapitre 13 (suite)

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Quelques heures plus tard, après avoir rassuré Belinda, je me dirige vers mon chalet flambant neuf, pour y accueillir mes frères et ma sœur. La jeune femme et son bébé sont restés dans ma caravane et je m'interroge sur ce que je vais bien pouvoir en faire. Il n'est pas question qu'elle s'imagine que je vais l'épouser ou m'occuper d'une quelconque manière de son rejeton. Pour le moment, je souhaite simplement qu'elle soit en sécurité en attendant de trouver une meilleure issue.

Pour m'aider à patienter, je m'amuse à envoyer un morceau de bois dans le champ à mes chiens qui se disputent pour me le rapporter. Ils ont quasiment atteint l'âge adulte, la femelle est plus fine et plus maline que le mâle, beaucoup plus gros et puissant. Les deux abandonnent soudainement leur bâton pour se mettre à aboyer en direction du petit chemin qui mène au camp. Quelques secondes plus tard, je découvre les trois silhouettes de Picouly, Tito et Paco.

La succession de Loran ne concerne que ma fratrie et personne d'autre ! Cette histoire doit se régler entre nous quatre. Nous détenons le pouvoir, reste à déterminer qui de nous va s'atteler à en porter officiellement la responsabilité, d'autant plus que le campement s'est largement agrandi depuis que les affaires sont florissantes... Plusieurs cousins nous ont rejoints et se sont installés sur notre terrain avec leur famille.

Très vite, à sa façon de marcher je perçois que Picouly est contrariée. Je sais qu'en m'attaquant à Belinda puis à Lucinda, j'ai perdu une partie de l'estime de ma sœur. Cela me fait mal au cœur de la décevoir, mais je ne regrette pas pour autant mes actes. J'ai agi comme je le devais, en utilisant les moyens les plus perfides que j'ai pu pour atteindre mes ennemis.

— Salut Scar ! me lance Paco.

Les mains enfoncées dans ses poches, je lui trouve une mine tendue, contrairement à Tito qui affiche une certaine excitation.

— Comment va Belinda ? s'enquiert avant tout Picouly.

Les traits tirés, elle me dévisage sans me quitter des yeux. Je tente de garder une contenance, même si devant elle, et malgré les trente centimètres qui nous distinguent, je serai toujours son jeune frère. Je hausse les épaules avant de la rassurer :

— Je lui ai proposé de voir un médecin, mais elle a refusé ! Elle a pris une sacrée rouste, mais ça va...

— Et le petit ? continue-t-elle de m'interroger avec une once d'inquiétude dans la voix.

Je me rends compte que je ne me suis pas vraiment soucié de lui à son arrivée ni même tout à l'heure. Je ne sais d'ailleurs toujours pas à quoi il ressemble, le coup d'œil rapide que je lui ai jeté dans l'obscurité et la colère m'ont laissé totalement indifférent. J'invite tout le monde à entrer en balbutiant en direction de Picouly :

— Je crois qu'il n'a rien...

Picouly, absolument pas satisfaite de ma réponse, soupire avec exagération. Elle finit par se détourner de moi pour se diriger vers le coin cuisine et surtout la cafetière qu'elle charge en eau avant de l'allumer.

La pièce est spacieuse et lumineuse, mais très peu meublée, juste le nécessaire : une longue table de monastère en bois massif pouvant recevoir une vingtaine de personnes, deux bancs de chaque côté et deux chaises recouvertes de coussin en velours rouge en bout. Un vieux buffet centré entre les deux larges baies vitrées contient toute la vaisselle que Picouly a choisie. La cuisine ouverte, séparée par un vaste comptoir, donne directement dans la salle à manger. Il ne manque rien en électroménager pour préparer de gros festin, sans parler de l'équipement hi-fi et télévision pour les fêtes et les rassemblements qui n'ont encore jamais eu lieu ici.

Tito et Paco s'installent d'un côté de la grande table, laissant la chaise qui préside vide. Avant de les rejoindre, j'ordonne à mes chiens de rester dehors. Ceux-ci me regardent avec fidélité et se positionnent tous les deux devant la porte-fenêtre maintenue ouverte. Je me tourne vers Picouly, toujours très réservée, et lui demande :

— Yankee n'est pas venu ?

— Il a dit que c'était pas ses affaires !

Je hausse les épaules en songeant à la confiance que mon beau-frère m'a sans cesse accordée et même si je me doute qu'il ne remettra jamais en question la décision que nous nous apprêtons à prendre, son avis nous aurait certainement bien éclairés. Je m'assois sur le banc, évitant de m'approprier la chaise qui préside la table, et je lance avec conviction :

— Il fait partie de la famille, pourtant !

Personne ne relève et tandis que nous nous disposons à aborder le sujet principal de notre entrevue, l'ambiance se tend encore. Picouly, le visage renfrogné, pose quatre verres devant chacun de nous, puis s'installe face à moi en attendant que le café coule.

Paco, immobile et le regard dans le vide, fait tourner sa chevalière sur son annulaire tandis que Tito joue à ouvrir et fermer son canif. C'est lui qui rompt le silence en m'indiquant sur un ton à peine moqueur que Loran et Bastian sont en train de récupérer leurs affaires.

— Tant qu'ils dégagent, ça me va !

Je n'ai pas envie de m'amuser de la situation, l'heure est grave. Par réflexe, mes doigts passent sous la table à la recherche du fusil caché tandis que je me tourne vers celui accroché au mur au-dessus de la fenêtre. Ils sont tous chargés et prêts à servir si besoin. Tout comme plus tôt ce matin, je n'hésiterai pas une seconde, mais cette fois, ce ne sera pas un avertissement.

— Scar, Lucinda pourrait rester ! me demande Picouly.

Les mains crispées, elle me supplie, mais il n'est pas question que je me laisse attendrir.

— Non !

— Mais pourquoi ? Regarde comment ils ont traité Belinda ! Lucinda mérite pas ça, elle est encore si jeune !

— Lucinda est de leur sang, de leur veine, elle n'a plus sa place ici, ma décision est prise !

Mes frères se gardent de commenter pendant que les yeux de Picouly deviennent brillants. Elle est triste et sur le point de craquer.

— Mais elle porte ton petit, comment tu peux être aussi cruel avec elle ? Je t'en supplie, Scar. Fais-le pour moi ! J'ai vu grandir cette gosse, je m'en suis occupée ! Pour Loran et Bastian, je comprends, mais pas pour elle...

— Je suis désolé que cela te chagrine, mais c'est non !

Tito n'ose pas regarder Picouly, il remet sa casquette en place et se racle la gorge. Je sais que ma décision est difficile et touche l'affect de chacun. Mais, je ne dois pas garder Lucinda sur le camp. Son père et son frère ont trop d'ascendance sur elle, cela pourrait s'avérer dangereux pour mes affaires. Des larmes coulent désormais sur les joue de ma sœur et dans un ultime espoir, elle se tourne vers notre aîné :

— Paco, dis quelque chose ! C'est toi qui vas prendre la place de Loran, c'est toi qui dois être chef !

Paco secoue la tête négativement. Il baisse les yeux vers son verre vide et annonce tout bas :

— C'est Scar qui doit prendre cette place. C'est lui qui est intelligent. Regarde tout ce que l'on a grâce à lui...

— Mais pour Lucinda ? insiste Picouly.

— C'est la décision de Scar. Je pense qu'il a raison. Si elle reste, elle sera une menace, elle a toujours été l'espionne de son frère et de son père. Il ne faut pas garder de loups dans la bergerie.

Contrariée d'être la seule à demander de l'indulgence quant à Lucinda, Picouly se lève pour attraper le pichet de café.

— Ils vont aller où ? interroge Tito.

— Bastian a parlé d'un camp dans le Sud, chez des cousins qui pourraient les accepter, explique Paco.

Tandis que Picouly nous sert, elle commente en secouant la tête :

— C'est la déchéance pour eux, avec Lucinda qui n'est pas mariée et enceinte. Ils vont être la risée de tous...

Nous buvons silencieusement nos verres jusqu'à ce que Tito questionne :

— On est donc tous d'accord, Scar, c'est toi le nouveau chef ?

Je me tourne vers Paco pour l'interroger.

— À Scar ! lance-t-il pendant que Tito me met une tape derrière l'épaule.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant