Tome 2 - Chapitre 19 (suite)

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Le cœur gros et chargé de culpabilité, je ferme ma caravane à clef. Je caresse quelques instants le refuge flambant neuf que je m'étais offert, mon véritable chez-moi, mon havre de paix. Puis, avant de jeter un dernier coup d'œil à mon champ couvert de fleurs sauvages, je piétine le sillon creusé qui mène vers le terrain. Un sac sur l'épaule et l'autre à la main, mes deux loyaux compagnons m'emboîtant le pas. Sitôt passée l'allée de peupliers, quelques enfants m'accueillent et tournent autour de moi pour jouer avec Tenia et Canibale, mais je les chasse en leur criant d'aller s'amuser ailleurs.

Lorsque j'atteins l'ancienne caravane de Belinda, je fais asseoir mes deux fidèles amis et frappe.

Lucinda ouvre et affiche un visage plein de surprise avant de se raviser.

— Alors c'est vrai ? Tu pars aussi ?

— Je vais revenir...

À l'intérieur, le marmot se met à hurler. Lucinda se retourne pour vérifier ce qu'il se passe alors que je lui demande si je peux entrer. Elle me fait signe que oui, puis par dans la pièce d'à côté. Aussitôt le gosse se calme.

Sans prendre la peine de me déchausser, je m'avance dans l'habitacle et pose mes deux sacs sur le paillasson. Je m'affale sur la banquette et commence à tapoter une cigarette sur la table, mais Lucinda ressort de la chambre et m'arrête.

— Pas dedans ! Y a le petit...

Je range mon paquet dans ma poche et râle en l'entendant à nouveau pleurer. Je patiente le temps qu'elle le prenne dans ses bras.

Je daigne le regarder quelques instants tandis qu'il affiche un sourire victorieux et fier d'avoir fait céder sa mère. Je découvre ses yeux bleus translucides et sa tache de naissance sur le front, absolument copie conforme de la mienne en version miniature. Il n'y a pas de doute, ce sont bien mes gênes qui coulent dans ses veines, je songe en me détournant, impressionné par le marmot.

— Est-ce que tu peux m'emmener quelque part ?

Lucinda me regarde avec tristesse. Je ne sais pas dire au revoir et je ne désire pas demander à quelqu'un d'autre. Mes frères et Yankee sont occupés à déménager et ce serait trop dur de leur faire face maintenant.

— Si tu veux ! accepte-t-elle aussitôt en haussant les épaules.

Je pose les clefs de ma voiture sur la table.

— Elle est à toi !

— Merci ! murmure-t-elle surprise en fixant le trousseau.

Puis je cherche au fond de ma poche les clefs de ma caravane que je dépose à côté.

— Si tu peux y jeter un œil de temps en temps...

— D'accord ! répond-elle en embrassant son fils.

— Et nourrir mes chiens !

Le petit crache sa sucette, elle se baisse pour la ramasser et m'interroge sur un ton exaspéré sans que je devine si c'est à cause de moi ou de l'enfant :

— Tu pars longtemps ?

— Je ne sais pas.

Je détourne le regard et jette un œil par la fenêtre, gêné par sa question à laquelle je suis incapable de répondre. Pour couper court au supplice, je me lève et Lucinda se pousse pour me laisser passer.

— Tu vas où ?

— Je ne peux pas te dire...

— Mais tu m'as demandé de t'emmener...

— Tu comprendras assez tôt.

— Ça va aller, Scar ?

Je me baisse et récupère dans mon sac une grande enveloppe épaisse, elle contient la part qui aurait dû revenir à Stazek ce matin.

— Ça, c'est pour toi et le petit. Au cas où je ne rentrerais pas.

— Il porte même pas ton nom, ce gosse...

Je ne réponds pas, je n'ai pas changé d'avis, mais en cet instant de départ, lorsque je regarde en arrière, je me demande ce qu'il va rester de mon passage ici. J'ai récupéré le terrain et l'ai arraché des mains de Bastian et Loran, ce n'est pas pour me le faire reprendre une fois le dos tourné.

Qui peut mieux qu'une mère peut défendre les intérêts de son fils ? Au prix d'y laisser sa propre vie ? Je pense à Lucinda et au gosse qu'elle tient dans ses bras. Si je disparais ou si je meurs, le camp sera pour lui. Mon enfant.

— Non, mais je lui offre le terrain. Lucinda, je suis sérieux ! En mon absence, je te confie tout. Ma voiture, ma caravane, mes chiens et le terrain.

— Pourquoi moi ?

— Parce que je n'ai plus personne d'autre que lui ici ! dis-je en indiquant le marmot qui s'est rendormi. Paco, Tito, Picouly, tout le monde s'en va !

Lucinda réfléchit quelques instants tandis qu'une larme coule le long de sa joue. Après quelques secondes d'hésitation à la serrer dans mes bras, je préfère lui tourner le dos. Mon destin m'appelle ailleurs. Je ne dois plus traîner.

— Il faut qu'on y aille, maintenant !

Je prends mes affaires et sors de la caravane. Je caresse mes chiens affectueusement, l'un après l'autre, puis je me dirige vers ma voiture. J'ouvre le coffre et y enfourne mes deux sacs.

Puis je m'allume une cigarette histoire de patienter jusqu'à ce que Lucinda confie le gosse à quelqu'un le temps qu'elle m'accompagne.

— C'est loin ? Parce que je l'ai jamais laissé !

— Non, dans deux heures tu seras de retour.

Elle s'assoit à côté de moi sur le siège passager. Avant que je démarre, elle pose sa main sur la mienne et prends une grande bouffée d'air, puis elle lance en m'implorant des yeux :

— Scar, emmène-nous !

Je retire ses doigts qui m'enlace et tourne la clef.

— Là où je vais, vous n'avez pas de place !

Nous n'échangeons pas d'autres mots durant tout le trajet. Lucinda regarde par la fenêtre alors que je reste concentré sur la route. Ma vie défile au rythme des kilomètres. Je me revois enfant courir pieds nus autour des caravanes, puis j'entends les coups de feu et je me retrouve dans l'univers du haras avec Agnès. Ensuite, il y a le retour de Paco, l'histoire se complique, Loran, Bastian et les brimades. Enfin il y a l'ascension. J'étais au pic, cela ne pouvait pas durer.

— On est arrivés !

J'enfonce ma casquette sur la tête et rentre ma chemise dans mon pantalon. Je dois être présentable.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant