Chapitre 23 (suite)

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Hubert savoure cet instant, j'observe toute son arrogance ressortir. À son attitude, je devine qu'il s'agit d'une revanche sur le passé. Sous ses airs gracieux et respectueux, je sens qu'il cherche à me dominer, à s'emparer de tout le pouvoir, à m'asservir et à me diminuer en me prenant celle à qui je tiens. Même s'il ne sait pas que nous avons été amants, il connaît notre affiliation. Je le hais pour ce qu'il représente : la bourgeoisie qui sous fond de richesse se croit tout permis.

Il tend son verre pour trinquer avec moi.

— À ma magnifique fiancée !

À côté de lui, dans une robe noire élégante, Agnès reste de marbre. Ses cheveux longs et fins remontés en chignon lui donnent un air d'actrice hollywoodienne à la remise des Oscars. La petite fille que j'ai connue a disparu pour laisser place à une femme pleine de classe et de retenue. À son attitude fermée, je comprends qu'elle n'a pas été avertie au préalable de notre présence. Ses ongles rouges manucurés grattent avec nervosité la tige de sa flûte à champagne tandis qu'elle n'ose pas me regarder en face.

De mon côté, chaque fois que mes yeux atterrissent sur elle, mon genou se met à trembler. Je suis anxieux, car je sens que je ne vais pas pouvoir me contenir jusqu'à la fin du repas malgré la promesse que je me suis faite. Je suis bouleversé par l'annonce du mariage. Qu'Hubert me trahisse ainsi, ne m'étonne pas, mais qu'Agnès coopère m'abasourdit. C'est la pire chose qu'elle pouvait me faire. Je sors mon paquet de cigarettes et m'en allume une tandis qu'un serveur se précipite pour poser sur la table un cendrier en marbre rose.

La valse des plats et des entremets commence. Je ne réussis pas à participer à la conversation générale, mais n'ayant jamais été très bavard, personne n'y fait attention, sauf Agnès. Je n'arrive pas à la déchiffrer, je sens de la peine dans son regard alors qu'elle devrait avoir un air joyeux. C'est tout à fait contradictoire avec l'annonce de ses fiançailles.

Cela me fend le cœur, me révolte dans mon for intérieur. Cette annonce est une arnaque dont je ne parviens pas à trouver la faille. Je suis paumé dans mes pensées, tellement déçu par le sort que vient de me réserver la vie. Perdu pour perdu, je peux tout détruire, tout envoyer en l'air, éclater Hubert qui rit à gorge déployée pour montrer sa supériorité. J'ai envie de tout expédier, de tout casser. La moindre étincelle pourrait déclencher un cataclysme.

Arrivé au dessert, Hubert qui a trop bu allume cette flamme...

— T'en n'as pas marre de ta roulotte, Oscar ?

— Hubert... supplie Agnès. Ce n'est pas drôle !

Je serre le poing sur mon couteau et déglutis, je serais capable de le lui envoyer entre les deux yeux. Mais loin de comprendre qu'il est en train de dépasser les limites de son triomphe, il veut en rajouter une couche.

— Ça va ! Avec le fric que je lui file, il pourrait vivre plus décemment.

— Tu nous donnes pas de sous ! coupe Tito. On l'a gagné...

Agnès pose sa main sur celle d'Hubert, pour l'empêcher de répondre. Leurs doigts enlacés, leurs regards entendus, les lèvres d'Agnès qui lui murmurent à l'oreille, tout cela est beaucoup plus que ce que je suis en mesure de supporter. Mon poing devenu incontrôlable s'écrase sur la table. Les assiettes et les couverts sautent et tintent avec perte et fracas. Tito sourit, content que je réagisse enfin. Il me connaît et n'accepte pas non plus l'insuffisance d'Hubert qui dépasse les bornes. Il me sentait trépigner et me voir rester de glace face aux attaques n'est certes pas dans mon tempérament. Karlo assis à ma droite tente de me retenir, mais plus rien ne peut m'arrêter. Je ne me laisserai jamais humilier, je ne suis pas un petit gitan que l'on gouverne et que l'on dirige. Je suis Oscar, un homme désormais puissant. Je peux détruire qui je veux, je n'ai qu'à commander ma bande de cousins, ils m'obéiront au doigt et à l'œil. Hubert va payer, il n'a aucun droit sur moi et surtout pas celui de me dédaigner devant Agnès.

Je me lève d'un bond et renverse la table devant le gros bourgeois. Lui et sa fiancée se retrouvent avec les assiettes sur les genoux, tâchés de vin et recouverts de nourriture.

Aussi bizarre que cela puisse paraître, je ne suis pas soulagé pour autant. Je saute sur Hubert et le saisis par le col pour lui dire d'aller se faire foutre. Je pourrais l'étrangler de mes propres mains, le saigner comme un porc avec le couteau de mon père toujours dans ma poche.

— T'as pas vraiment compris qui je suis, Hubert ! Si tu veux qu'on continue de bosser ensemble, va falloir me parler autrement ! C'est moi qui fixe les règles et pas le contraire...

Je suis un sauvage, un être libre que jamais personne ne mènera. Hubert devient rouge, je suis en train de l'étrangler, il crispe ses mains sur les miennes pour tenter de se dégager, mais je serre fort.

— Oscar, arrête ! m'ordonne Agnès qui tire sur mon bras.

Rien ne peut m'interrompre. Je tiens désormais les commandes...

— Te mêle pas de ça Agnès ! dit Tito aussi énervé que moi.

Il retient la jeune femme pour me laisser aller au bout de ma mise au point. Il a compris que c'était nécessaire pour la suite, que nous devions avoir le dessus sur les affaires, que nous devions montrer notre puissance pour ne pas être écrasés. Dans notre milieu il n'y a pas trente-six façons de se faire entendre, c'est la loi du plus fort qui prime.

Stazek et Karlo n'ont pas le même sentiment. Ils n'ont pas la rage de réussir qui coule dans leurs veines. Ils pensent sans doute aux conséquences, aux marchés que nous allons perdre et choisissent de m'empêcher d'en dire davantage. Après quelques minutes à tourner en rond, ils finissent par réagir et m'obligent à lâcher prise, à reculer. Je lance un dernier regard vers Hubert qui retrouve sa respiration soutenue par l'amour de ma vie, avant de me résoudre à sortir sur le parking. Dans le restaurant, les autres continuent de s'agiter à réparer mes dégâts et essayer d'apaiser le personnel et les clients qui sont en train d'appeler la police.

L'air froid me saisit. Je souffle et tire un coup de pied dans une jardinière. Puis, en parvenant à ma voiture, je lâche Diabla qui m'attendait. Je tente de me calmer et caresse ma chienne qui couine de joie de me revoir. Je m'appuie contre le capot pour m'allumer une cigarette et guetter Tito. Je n'arrive pas à analyser la situation. Est-ce que j'ai vraiment perdu Agnès ? Est-ce que j'ai gâché tout notre réseau de revente ?

Je ne sais plus où j'en suis.

— Le gros, il s'est énervé... mais t'as eu raison ! lance Tito qui sort le premier.

— Et Stazek et Karlo ?

— Ils payent tout ce que t'as cassé et ils arrivent ! On va faire quoi, maintenant ?

— On verra demain ! Cette nuit, je veux juste tout oublier...

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant