Chapitre 16

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J'ai beau m'accrocher et vouloir clairement remonter la pente, cette nuit s'est avérée aussi difficile que la précédente. Impossible de fermer l'œil, de nouveau perturbé par des images d'Agnès qui me tourmentent. Cette solitude loin d'elle est une torture mentale aussi bien que physique. Pierrot m'a séparé d'Agnès, il a volé mon âme. Le front appuyé contre la vitre du fourgon que Paco conduit, je retiens mes larmes en espérant que ce supplice cesse enfin. J'ai toujours aimé voir défiler le paysage à grande vitesse. Je fais abstraction de tout, de la présence de mon frère, de la musique techno trop forte, du véhicule de Yankee accompagné de Tito que nous suivons. Je m'enferme dans mon corps qui souffre, le regard rivé vers l'extérieur. Je suis un tronc vide, un arbre sec bringuebalé par le vent qui vient mourir sur la cime de ma plus haute branche. Je ne parviens pas à rester droit, je tangue d'un côté et de l'autre, cherchant une étincelle depuis que la lumière a quitté mon cœur.

— On est arrivés... m'informe Paco en baissant le son de la radio.

Il se gare le long d'un chemin et me tape sur l'épaule pour me faire réagir. Je regrette d'avoir accepté de les accompagner. Je suis fatigué, j'ai lu toute la nuit pour éviter de sombrer dans diverses idées moroses et me poser encore maintes questions dont je n'ai pas les réponses. Je pense au dernier livre que j'ai commencé, à Arsène Lupin ce gentleman cambrioleur qui m'a tenu en haleine jusqu'au petit matin. J'aurais préféré terminer ce bouquin plutôt que me retrouver entouré des trois joyeux lurons qui se sont donnés pour mission de me sauver de mes abîmes intérieurs. Avant de descendre, Paco hésite, prend un air grave, joue avec son paquet de cigarettes et finit par se lancer :

— Écoute Scar, je dois te dire un truc...

Ses yeux noirs en amande me fixent et attendent un signe d'approbation de ma part pour continuer, tandis que je le regarde, interrogateur.

— C'est la nona, tu sais je t'ai dit qu'avant de mourir, elle a parlé de toi...

— Oui ?

— Et bien, elle m'a dit de te répéter que celui que tu cherches est le père de main de pieds. Demande-moi pas ce que ça veut dire parc'que j'ai rien compris !

Je suis surpris, et bien entendu je réfléchis à ce que cela peut signifier. Je ne vois pas tout à fait à quoi cela fait référence. Est-ce un dernier délire de nona avant de mourir ou une réponse aux questions que je lui ai souvent posées.

— Voilà, j' t'ai dit ! Mais laisse tomber, elle devenait folle, tu sais bien... Allez, viens !

Main de pieds ou main deux pieds ? C'est bizarre cette expression ou ce surnom... Celui que je cherche ? Je l'interrogeais toujours sur les coupables, ceux qui ont causé le décès de mes parents. Est-ce à cela qu'elle faisait référence ? Ma volonté de résoudre ce mystère remonte à la surface. Dans son dernier souffle, nona m'a-t-elle livré la clé de l'énigme ?

La portière de Paco qui claque me secoue, me tirant de mes songes. Je soupire un grand coup pour m'insuffler de la force et range cette nouvelle pièce du puzzle dans un coin de ma tête. Alors que je n'avais plus aucun espoir d'accéder à des indices, Nona relance mon désir de découvrir la vérité.

À l'extérieur Tito ouvre déjà le camion de Yankee pour en sortir le matériel qui leur sera utile. Je m'extirpe du fourgon avec peine. Je n'ai pas envie de bouger, j'ai froid. À chaque pas que j'écrase sur le sol, crépitent quelques écorces et aiguilles des conifères.

— Le patron veut qu'on enlève le pin. La foudre est tombée dessus, indique Yankee en attrapant une corde.

Je prends une grande bouffée d'air vivifiant et respire l'odeur de la forêt, ce mélange de fraîcheur et de champignons. Au petit matin, la nature à l'état sauvage est apaisante, je ferme les paupières pour profiter de ce calme tandis qu'un vent léger fait frétiller les feuilles et que les oiseaux chantent au-dessus de nos têtes. Je lève les yeux en direction de l'arbre immense et blessé dont une branche menace de s'effondrer sur la route, et lentement, je me détourne pour libérer Diabla, enfermée dans le coffre. Aussitôt, elle fait sa danse de la joie en tournant sur elle-même et m'arrache un sourire. Je l'ai un peu délaissée ces derniers jours, nous avons tous les deux besoin de bouger.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant