Chapitre 7

1.2K 147 110
                                    

Un mois plus tard.

Les épreuves du brevet ont dû commencer et Agnès maîtrise sans aucun doute tous les sujets par cœur pendant je suis bloqué dans ce camp. Elle va l'avoir à coup sûr et tout le monde la félicitera tandis qu'ici personne ne se soucie des études. Je ne cesse de penser à elle et chaque fois, tout mon être s'emballe. J'ai de plus en plus envie de la revoir. Je ne sais pas ce qu'elle a ressenti lors de mon départ et je cherche un moyen de me faire pardonner de l'avoir abandonnée ainsi. Ou pire, elle m'a peut-être tout simplement oublié et je suis malade rien que d'y songer. Je l'imagine faire comme si je n'avais jamais existé. Elle doit vaquer à ses affaires, dans sa petite vie confortable, bien paisible entre le lycée et le haras.

Je ne peux pas bouger d'ici, car je n'ai pas de moyen de locomotion et les deux fois où j'ai demandé à Paco de m'y emmener, il a reporté à plus tard. Les jours se sont écoulés et désormais, j'ai du mal à m'imaginer me présenter là-bas, j'ai la sensation que ce serait me rabaisser, comme si je ravalais ma fierté et ça me rend fou. Je tourne en rond sans savoir quoi faire.

Au domaine, je passais mon temps dans les livres. Au terrain, c'est vraiment impossible. En revanche, j'ai pris l'habitude de tout consigner sur un modeste carnet, je veux être certain de ne rien oublier concernant l'organisation du camp, les personnalités de chacun et surtout les phrases énigmatiques de ma grand-mère. Je sens les regards méprisables des gitans lorsqu'ils me voient penché sur mon bloc-notes en train de griffonner, j'entends parfois les commentaires des gosses qui se moquent de moi. Je dois bel et bien redoubler de vigilance et de discrétion quant à mes écrits, je m'oblige d'ailleurs à changer de cachette à maintes reprises.

Grâce à mon calepin, je peux analyser tout mon entourage et j'ai bien remarqué les allées et venues de la petite Lucinda qui passe souvent me parler. Au début, j'ai mis ça sur le compte de la curiosité infantile, mais je ne suis pas dupe. J'ai bien vite compris son manège. L'oncle Loran l'envoie tourner autour de ma caravane pour m'espionner et écouter ce que je raconte à mes frères ou à Picouly quand elle vient effectuer mon ménage.

Ma main est désormais complètement guérie alors pour m'occuper, je m'amuse à tirer. Donner des coups de feu en plein jour ne perturbe personne sur le terrain naturellement bruyant. Mes cousins chassent tous et les plus jeunes s'entraînent chaque jour avec les carabines et fusils. La cible que je me suis fabriquée est tout à fait percée et je suis ravi de constater que neuf fois sur dix le plomb arrive dans le mille. Je me trouve plutôt bon, même si pour le moment c'est beaucoup moins instinctif que lancer un couteau.

Je raccroche le carton blanc troué sur le tronc du grand pin parasol, à hauteur d'homme, quand le fourgon de Paco se gare sur le terrain. Voyant Bastian descendre, je préfère remonter sur la terrasse et me concentrer sur la carabine dont je plie le canon pour le charger. Depuis notre altercation, nous ne nous sommes plus jamais adressé la parole, mais je le soupçonne de préparer sournoisement sa vengeance, je sens bien les coups d'œil en coin qu'il me jette, je ne suis pas dupe. Nous nous observons en chien de faïence lorsque Tito, qui accompagnait notre aîné, m'indique :

— Je t'ai ramené des plombs !

Je lui fais un signe de tête pour le remercier alors qu'il dépose la précieuse boîte métallique sur la vieille caisse qui sert de table. Il ne s'occupait pas vraiment de ce que je faisais au haras, mais depuis que nous partageons la même chambre, nous sommes beaucoup plus complices. Il essaie de m'aider à m'intégrer au mieux.

Après un crachat dans ma direction, Bastian s'allume une cigarette et disparaît.

Tito, à l'aise dans les vieilles fringues de Paco, sort son paquet de clopes. Contrairement à moi, il n'attache aucune importance à sa tenue vestimentaire et ne souffre pas du fait que nous n'ayons toujours pas récupéré nos affaires. Habillés ainsi, la ressemblance entre mes deux frères est vraiment frappante, d'autant plus qu'au contact de notre aîné, Tito en copie la gestuelle exagérée, jusque dans sa façon de retirer sa casquette pour se recoiffer.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant