Chapitre 11 (suite)

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Je gare ma moto devant la caravane de Paco qui ne laisse filtrer aucune lumière à travers la fenêtre ouverte, j'en déduis que l'habitation aux tôles vieillissantes et rouillées est déserte. Dommage, j'aurais été fier de lui montrer que mon bolide roule. Quelques cris d'exclamation poussés par les enfants qui s'attroupent autour de moi détournent mon attention. Aussitôt, les petits crânes, fraîchement rasés à cause d'une invasion de poux, m'énervent à toucher le guidon et à me poser mille questions au sujet de la vitesse à laquelle je peux monter.

Un garçon d'une dizaine d'années appuie sur le klaxon et le signal assourdissant me fait sursauter.

— Arrête ça !

Il insiste et enfonce le bouton qui laisse échapper un son strident. Pour l'obliger à cesser le raffut, je lui mets une tape sur la visière de sa casquette. Furieux, il me fusille du regard quelques instants, mais se ravise promptement avant de déguerpir. Il a compris que je ne plaisantais pas.

Devoir partager toute ma vie avec l'ensemble des gens qui vivent sur le terrain m'est difficile à supporter. Je n'arrive pas à m'y habituer, j'ai besoin de passer inaperçu pour que Bastian et mon oncle m'oublient un peu. Ainsi, j'ose espérer que les langues pourront se délier, je pourrais peut-être en apprendre davantage sur mes parents.

A priori, la promiscuité avec les autres ne dérange que moi, Tito trouve normal de ne pas avoir d'intimité, comme lorsqu'il traverse la place pour se rendre aux toilettes. Impossible de changer de baskets, sans être repéré ; même une mère ne peut pas se fâcher après ses enfants sans qu'on l'entende à travers les cloisons fines des habitacles. Pareil quand un couple se dispute, toute la communauté en profite. Je suis un extra-terrestre, ici. Je ne m'occupe pas des affaires des autres et j'aimerais bien qu'il en soit de même pour moi !

Avec grâce, ma cousine Lucinda s'infiltre au milieu de la troupe de garçons. Ses cheveux blonds ondulent au gré de la brise légère. Elle a un joli visage avec des traits doux, en tous points différents de son frère et son allure renfrognée. Ce n'est qu'une petite fille, mais déjà très belle et très maligne. Toujours dans mes pattes, à observer ce que je fais avec sa bouille parsemée de taches de rousseur, elle sait jouer de son air angélique et parvient en général à avoir ce qu'elle veut.

— Ça y est, elle est réparée ? m'interroge-t-elle avec assurance.

Ses grands yeux bleus, pleins d'admiration, attendent une réponse de ma part, cependant je n'ai pas envie de faire la conversation et encore moins à la sœur de Bastian. J'acquiesce vite fait et me détourne pour chercher une cigarette dans ma poche tandis qu'elle insiste d'une mimique adorable avec sa voix aiguë, un poil autoritaire :

— Tu peux m'emmener faire un tour ?

Je manque de m'étouffer en entendant sa demande et m'y reprends à deux fois pour allumer ma clope.

— Non ! Tu veux que ton père m'égorge ou quoi ?

Je n'aime pas que la petite traîne autour moi. Elle a tendance à être envahissante et son regard m'indispose. Ses yeux perçants cherchent toujours les miens, comme si elle désirait deviner mes pensées. Je préfère rester vigilant. La surveillance de mon oncle semble se relâcher, je ne fais pour autant confiance à personne. Dans la communauté, les filles sont extrêmement protégées. Vu mes antécédents avec eux, ce serait me mettre en danger de partir seul avec elle.

Tous ces gamins m'embêtent à toucher ma bécane, alors je m'agite de façon féroce en leur criant de dégager ! Je préfère les chasser et m'installer sur la terrasse alors que j'imagine déjà les hommes prendre l'apéro et les femmes préparer le dîner.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant