Chapitre 12 (suite)

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En quittant ma grand-mère, j'ai un mauvais pressentiment. Ses paroles m'ont troublé, et en me confondant avec mon père, elle remue des émotions en moi. J'ai toujours un mouvement de recul et un pincement au cœur lorsqu'elle touche mon visage et qu'elle prononce son nom au lieu du mien. Parfois, j'ai l'impression qu'elle fait exprès de m'appeler Marco, pourtant, je vois bien qu'elle perd la tête.

Ce qu'elle déclare est tout à fait incohérent, mais je ne parviens pas à effacer ses mots, elle sait des choses et n'arrive pas à me les dire. J'analyse tout ce qu'elle déblatère, sans cesse à la recherche de confidences. Malgré tout, le temps passe et en deux ans, je n'ai jamais rien compris de ce qu'elle sème comme des minuscules cailloux dans mon esprit, bien que je n'oublie rien. J'enregistre ses paroles, je me les répète quotidiennement le soir au coucher, pour les graver en moi, en espérant en découvrir un jour le sens. Chaque jour, je continue de prendre des notes dans un minuscule carnet que je garde caché. Parfois, je le relis pour tenter de faire un lien, mais tout reste très confus, je ne vois rien se dessiner, comme l'histoire des oncles. Je devine que Loran est une des personnes désignées, mais qui sont les autres dont elle m'a parlé ?

Je me dis qu'elle n'est peut-être pas si aliénée que je ne le pense. Aujourd'hui encore, comment savait-elle que j'allais vers le haras, comment connaît-elle le domaine et les chevaux ?

Sur les petits chemins de campagne, je fonce droit devant, l'esprit préoccupé par la santé de ma grand-mère. Un vent froid me glace les mains et gonfle mon blouson tandis que j'essaie de chasser toutes les interrogations au sujet de la « vieille sorcière », comme l'appellent les gosses du camp qu'elle prend plaisir à effrayer avec ses incantations.

Mon casque tape dans la carcasse de la moto à cause des nids de poule sur le sentier, je ne le porte jamais. Je le trimballe à la poignée gauche de mon guidon, au cas où je tomberais sur une patrouille de gendarmerie quand j'emprunte les routes goudronnées. Je le mets toujours dans la précipitation à l'approche du haras pour éviter les remontrances de Pierrot et Loupapé.

J'apprécie les moments vécus auprès de Botchecampo. Tous les soirs, après le lycée, je fonce aider dans les écuries. J'y passe également la plupart de mes mercredis après-midis et mes vacances scolaires, partageant ainsi la plupart de mon temps libre au sein de ma famille. Au domaine, je peux me détendre et ne plus craindre les coups foireux de mon oncle, je peux étudier dans le calme et la sérénité, sans être épié et dérangé.

À l'occasion des dîners, Vanessa évite désormais de me poser des questions sur mon quotidien dans le terrain. Elle accepte la situation, même si parfois, elle ne peut s'empêcher de pincer les lèvres, lorsque je me montre comblé par l'insouciance et par l'indépendance dont je bénéficie. Pierrot semble satisfait de l'aide que je lui apporte ainsi que de mes résultats scolaires, en retour j'apprécie sa générosité qui me permet de me payer le plein d'essence, de m'acheter mes cigarettes et de mettre un peu d'argent de côté.

Devant moi, la palombière de Pierrot apparaît enfin. Sur une butte orientée vers le Nord-Ouest, face au potentiel passage de proies, ce que les anciens du coin appellent l'oueytte* est une immense cabane aménagée avec tout le confort nécessaire pour des parties de chasse luxueuse.

Je ralentis en passant le portail rouillé laissé grand ouvert pour pénétrer sur la parcelle clôturée, en plein cœur de la forêt. En montant la petite colline à travers les grands arbres, je sens la puissance du vent s'intensifier. Nous sommes pourtant au mois d'août, mais le ciel noir est menaçant. J'adore observer les couchers de soleil depuis les hauteurs de la palombière. Dans son centre nerveux, le paysage vert à perte de vue contraste avec la météo de cet après-midi. J'aperçois enfin Darkness au bout du chemin. Sa longe est attachée à un anneau de l'abri camouflé de brande, où Pierrot et ses amis ont l'habitude de garer leur véhicule pour éviter d'être à découvert.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant